Religions et représentation figurée

Un statut de l'image en relation avec la fixation des dogmes chrétiens (IIIe-Ve siècles)

La fabrication et l'usage des images ne vont pas de soi dans le monde chrétien des premiers siècles. La question de savoir s'il est licite de faire des images remonte aux origines du christianisme et se heurte d'abord à une très puissante réticence, du fait de l'interdit explicite figurant dans ce qui devient l'Ancien Testament pour les chrétiens : « tu ne te feras pas d'idoles, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre » (Exode, XX, 4). Tertullien[1] assimile l'usage de l'image au paganisme, son refus peut donc aussi être interprété comme une volonté de se démarquer des religions païennes alors même que juifs et chrétiens ne sont pas toujours clairement distingués dans les communautés des trois premiers siècles de l'ère chrétienne.

Cet interdit initial est cependant l'objet d'intenses réflexions. Etroitement lié au refus du paganisme, il touche d'abord l'image de Dieu. Mais pour certains des Pères de l'Eglise[2] , cet interdit a été aboli lors de l'avènement du Christ : en professant l' « incarnation » de Dieu fait homme, selon des termes fixés entre les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381), les chrétiens considèrent que Dieu s'est lui-même représenté, abolissant de facto le tabou de la représentation. Le « Fils » est alors défini comme image du « Père », image parfaite de Dieu. Ancien et Nouveau Testaments sont donc compris comme deux temps distincts et deux régimes iconiques différents : dans le premier, le « Fils » n'est vu qu'indirectement ; dans le second, l' « incarnation » l'a rendu pleinement visible, sous une forme humaine, l'Invisible s'est fait visible. Cette position ouvre, dès lors, aux communautés chrétiennes un espace et une conception iconique propres.

Le terme d'imago, très utilisé tout au long du Moyen Âge, désigne toute forme de représentation visible d'une chose ou d'un être réel ou imaginaire, quel que soit le support, la matière ou la technique. La notion est cependant très lourde de sens, puisqu'elle possède en elle-même une dimension religieuse. Selon le choix de traduction approuvé par Jérôme[3] , la première fois que l'homme est nommé dans la Bible, il est imago : Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance « ad imaginem et similitudinem nostram » (Genèse 1, 26-27). Le terme d'image est donc bien plus vaste que la simple représentation : un tableau est une image, mais le Christ en est une aussi, d'autant plus parfaite qu'elle est celle du « Père ». Et si Dieu a créé l'homme à son image, c'est bien toute la Création qui est conçue comme l'image terrestre des réalités divines : « Homo in imagine ambulat » (« l'homme marche dans l'image » ; Psaume, 38, 7).

Cette définition confère une incontournable dimension religieuse à toute image, expliquant le soin mis par les théologiens à définir et encadrer l'image et son usage. L'image n'est pas un simple dessin illustratif ; elle ne donne pas à voir un objet, mais une part de la Création, reflet d'un Au-Delà divin. Elle possède en elle-même une dimension spirituelle et entretient un dialogue permanent avec le texte sacré : par le visible, elle donne accès à l'invisible. La réflexion chrétienne latine en matière d'image lie donc très étroitement la représentation aux conceptions religieuses, et n'est jamais vraiment envisagée en-dehors de ces liens. L'iconographie conservée pour cette période est donc presqu'exclusivement religieuse, reflétant une réalité de la production.

  1. Tertullien (v. 150- v. 220)

    Romain né à Carthage, il est l'un des penseurs dont les écrits servent à fixer la doctrine au sein du christianisme primitif dans le monde romain. Il est, par exemple, le premier à introduire en latin la notion de « Trinité » et à la définir. Son influence considérable en fait un des Pères de l'Eglise.

  2. Pères de l'Eglise

    Groupe circonscrit d'écrivains ecclésiastiques des premiers siècles de l'ère chrétienne qui ont contribué, par leurs travaux et leurs échanges, à fixer les termes fondamentaux de la doctrine et de la spiritualité chrétiennes. Leur autorité n'est pas située au même niveau que celle de la Bible, dont les auteurs sont considérés comme inspirés par Dieu, mais leur témoignage bénéficie d'un crédit profond, encore renforcé lorsqu'il y a unanimité entre eux.

  3. Jérôme (v. 345-v. 420)

    Chrétien né en Dalmatie, il se rend à Rome pour étudier, puis il se retire en Syrie. De retour à Rome, il devient secrétaire du pape Damase qui le charge de réviser les traductions latines de la Bible. Lui-même rédige une version qui s'impose face à toutes les autres dans le monde chrétien de langue latine. Elle prend ultérieurement le nom de Vulgate ou textus vulgatus (« texte répandu »). Le Concile de Trente donne à cette traduction une autorité plus grande encore que celle que lui avait accordée l'usage en la qualifiant d' « authentique » au sens de rigoureusement fiable en matière de foi. Il est canonisé par l'Eglise catholique puis qualifié de « Docteur de l'Eglise ».

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