Sciences et religions à l'époque contemporaine XIXe - XXe siècles

Eléments incompatibles dans l'argumentation de Galilée

En vue de ces solutions et modes de confrontation, la question se pose de savoir pourquoi Galilée n'a pas réussi à faire valoir la solution 2', c'est-à-dire à persuader ses adversaires de la rationalité du système héliocentrique qui aurait imposé une compréhension métaphorique de certains passages du texte biblique. Une des réponses modernes consiste à dire que l'argumentation de Galilée ne pouvait pas convaincre parce que, selon les standards scientifiques de son époque, il n'était ni rationnel, ni scientifique. L'analyse qui suit se base sur le Against Method du philosophe des sciences Paul Feyerabend[1] et notamment sur le rapport entre circularité théorique et observée.

Selon la physique aristotélicienne dominante à l'époque, si la terre tourne, l'impact d'une pierre qu'on laisse tomber d'une tour ne devrait pas être au pied de cette tour, mais un peu plus loin parce que la terre se serait déplacée pendant le temps que la pierre a mis pour tomber. Tel n'est pas le cas, c'est là l'un des arguments les plus forts des contemporains de Galilée en faveur du système géocentrique. Pour contrer cet argument, Galilée développe une nouvelle théorie d'inertie qui peut expliquer pourquoi la pierre tombe au pied de la tour même si la terre tourne. Mais comment cette nouvelle théorie d'inertie est-elle confirmée ? En ce qu'on accepte la doctrine copernicienne, laisse tomber une pierre d'une tour et observe qu'elle touche le sol juste au pied de la tour. Mais pourquoi accepter la doctrine copernicienne ? Parce que, en acceptant la nouvelle théorie d'inertie, le modèle copernicien prédit que la pierre tombe au pied de la tour. L'acceptation de l'une des deux théories dépend donc de l'acceptation de l'autre pour expliquer un phénomène qui ne pose pas de problème en lui-même dans le système ptoléméen.

La physique aristotélicienne distingue fondamentalement entre le « sublunaire[2] » et le « supralunaire[3] » . Les lois physiques en vigueur dans ce monde où les mouvements des choses sont assez chaotiques sont considérées comme n'ayant rien à voir avec les lois éternelles qui gouvernent les planètes et les étoiles fixes. Avec ses lunettes, qui fonctionnent merveilleusement dans le monde sublunaire, Galilée veut franchir cette limite et prouver des faits célestes. Sa démarche est la suivante : Pourquoi croire qu'elles seraient un instrument fiable pour observer l'espace supralunaire ? Parce que, dit Galilée, les lunettes confirment la doctrine copernicienne. Mais pourquoi croire à la doctrine copernicienne ? Parce qu'elle est confirmée par les lunettes. D'ailleurs, les croquis que Galilée a faits de la surface et des cratères lunaires grâce à ses lunettes ne ressemblent pas à la surface lunaire telle que celle-ci est observable avec des moyens techniques modernes.

En outre, il importe de noter que, dans le Dialogue, Galilée ne fait pas mention des modèles géocentriques les plus avancés de son temps, comme celui de Tycho Brahe[4], bien qu'il les ait connus. Or ceux-ci visent à expliquer certaines observations que Galilée prend comme preuve de l'héliocentrisme. Qui plus est, à l'appui de cette théorie, dès 1616, il présente une explication de la marée. Mais, comme le font observer ses contradicteurs, les éléments apportés ne peuvent expliquer qu'une seule marée par jour, ce qui est insatisfaisant pour rendre compte du fait.

Le défi assumé par Galilée, après Copernic, est de taille : pour le sens commun, il n'est en rien évident d'affirmer que la terre tourne. Galilée se base sur une argumentation circulaire, il présente des observations dont la valeur est incertaine (lunettes) ou bien même réfutée par l'expérience (deux marées), et il offense les standards méthodologiques de base (dissimulation des arguments de Tycho Brahe, dessins imaginaires de la surface de la lune). Combinés au rapport d'autorité du contexte dans lequel l'affaire s'est déroulée, ces éléments expliquent pourquoi nombre de ses pairs n'ont alors pas suivi le mathématicien du Grand-Duché de Toscane. Indépendamment de la problématique de la plus grande validité du système héliocentrique sur le système géocentrique, il était plus raisonnable, voire plus scientifique à l'époque de ne pas suivre Galilée.

  1. Paul Feyerabend

    (1924-1994) philosophe des sciences autrichien qui conteste l'importance d'une méthodologie stricte pour le progrès scientifique et défend une approche anarchiste dans les sciences.

  2. Sublunaire

    tout ce qui se passe au-dessous de la lune.

  3. Supralunaire

    tout ce qui se passe au-dessus de la lune.

  4. Tycho Brahe

    (1546-1601), astronome danois qui a développé une cosmologie qui maintient la terre au centre de l'univers, mais admet que les planètes tournent autour du soleil.

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