Politique, religion et constructions étatiques (XIe–XVIe/XIXe siècles)

Les formes d'expression des théories de l'État

Les théories politiques émanent en premier lieu du pouvoir central. En Castille, elles sont développées dans l'importante production écrite pilotée par la monarchie, qui aborde les domaines les plus divers : les sciences, la poésie, l'histoire et surtout le droit. Alphonse X s'y implique personnellement, transmettant ses instructions à des équipes de spécialistes. Il met au point une conception très élaborée de l'État monarchique, imprégnée de philosophie aristotélicienne, reposant sur l'idée de pouvoir naturel. Philippe le Bel, pour sa part, ne s'exprime pas directement et il est difficile de connaître le fond de sa pensée politique. Les représentations symboliques émanant directement de la monarchie, comme les sceaux constituent donc une source essentielle, même si elles ne reflètent pas fidèlement la réalité. Les sources écrites les plus intéressantes sont les codes (ordines) contenant les rites liturgiques des principales cérémonies liées à la personne royale, le sacre notamment. L'ordo de 1300 demandé par Philippe le Bel étant perdu, il faut se contenter d'analyser l'ordo de 1250 , composé en fait dans les années 1260.

Grand sceau de Philippe Le Bel

Dans son royaume, le monopole exercé par Alphonse X sur la production écrite ne permet pratiquement pas l'expression d'autres voix. Seules des représentations artistiques tiennent un discours indépendant, mais concordant. Philippe le Bel, à l'inverse, laisse écrire les auteurs qui lui sont favorables, même les plus extravagants comme Pierre du Bois, un prolixe officier de justice provincial. Il encourage, en coulisse, certains juristes à mettre par écrit les aspirations rêvées de la monarchie, ce qui conduit à une importante production de libelles anonymes dans les années 1296-1302, au plus fort du conflit avec Boniface VIII. Selon les cas, ceux-ci servent de ballons d'essai ou de manœuvre d'intimidation. Les théologiens, comme le dominicain Jean de Paris[1], peuvent aussi concevoir et diffuser des théories politiques différentes de celles de la monarchie. Ainsi la France connaît-elle une plus grande diversité de sources, et par là de conceptions de l'État.

Le discours des forces opposées à la construction de l'État monarchique demeure mal connu. En Castille, il se devine dans les chroniques officielles postérieures ou dans les formules de chancellerie de l'infant Sanche. Ces bribes ne suffisent pas à reconstituer une théorie de l'État. Les nombreux traités dirigés contre le roi de France sont rédigés à l'extérieur du royaume, notamment en Italie. Ils défendent, en reprenant des arguments formulés depuis longtemps, l'universalité du pouvoir pontifical et présentent un caractère anti-étatique.

  1. Jean de Paris

    Jean de Paris, aussi appelé Jean Quidort ou encore Jean le Sourd (v. 1255-1306), membre du couvent dominicain de Saint-Jacques, à Paris, et enseignant en théologie à la Sorbonne. Au moment de la querelle entre Philippe le Bel et Boniface VIII, vers 1302, il rédige le traité Du pouvoir royal et papal, dans lequel il défend l'idée, contraire à celle développée par la curie romaine, selon laquelle la juridiction temporelle est indépendante de la juridiction spirituelle, développant une forme d'aristotélisme régalien.

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