Migrations religieuses (XVIe–XIXe siècles)

Clôtures mentales et barrières physiques

L'histoire de bruit et de fureur des siècles passés s'est apaisée avec l'indépendance de l'État libre d'Irlande en 1921. Celui-ci secoua les derniers liens politiques avec l'ex-colonisateur, le Royaume-Uni, en passant du statut de dominion[1] à celui de république en 1949. La dépendance économique diminua avec l'entrée dans la Communauté européenne en 1973. Dans la partie que les protestants appellent Ulster, cinquante ans de calme avaient suivi la partition de l'île. Ainsi deux nationalismes obtenaient un État représentant leurs intérêts, une grande partie du personnel dirigeant plaçant la religion au premier rang de leurs valeurs, la légitimant par là même. Au Sud, la présence protestante ne posait plus problème après le dédommagement des propriétaires de la Protestant Ascendency[2] : leurs terres rachetées et distribuées aux paysans irlandais, ils quittèrent l'île ou s'y installèrent discrètement. Au Nord, une majorité de deux tiers de protestants assurait une stabilité politique à leur profit. Puis la violence s'y réveilla entre les deux communautés en 1969. Suivirent trois décennies de conflit qui se soldèrent par 3 600 morts et quelque       30 000 blessés avant que dix ans de laborieuses négociations ne mettent fin aux « Troubles » : au plan institutionnel, l'Irlande du Nord reste dans le giron du Royaume-Uni, ce qui satisfait les protestants, mais la réunification de l'île est démocratiquement possible, par referendum, ce qui donne espoir aux catholiques.

Cependant, malgré l'effacement d'une des frontières les plus surveillées d'Europe occidentale et la relative prospérité de la « Province », les quartiers, surtout populaires, n'ont jamais été aussi ségrégés. Seuls 5% des établissements scolaires accueillent des enfants des deux confessions. Les écoles publiques accueillent les protestants, des écoles privés -sous contrat- les catholiques. Les étudiants des deux confessions se rencontrent à l'Université mais après avoir, tout au long de leur scolarité, étudié des programmes d'histoire dont on peut interroger l'impartialité. Par ailleurs, les jeunes protestants pratiquent des sports anglais (football, rugby), les catholiques pratiquent le football gaélique ou le hurling[3]. La toponymie et les prénoms varient en fonction de l'obédience religieuse. En 2010 encore, les médias montrent les radicaux des deux camps lors de la Marching Season[4]. Organisés d'avril à août, ces parades commémorent le 12 juillet la victoire de la Boyne (1690), remportée par Guillaume d'Orange[5] sur les troupes du catholique Jacques II[6], roi déchu. A (London) Derry, exactement un mois plus tard, les protestants fêtent encore leurs ‘apprentis' qui, en 1688, subirent un siège sans merci après avoir fermé les portes de la ville au souverain jacobite. Quant aux Reformation Day Parades (en octobre), elles célèbrent l'affichage des thèses de Luther au château de Wittenberg, acte fondateur des Églises protestantes.

Si les autorités s'attendent à des incidents chaque année, c'est que, dans la décennie 1970, le nombre de défilés a quadruplé, multipliant les occasions pour les protestants de dénier le marquage de territoire des catholiques. En effet, surtout dans les grandes villes, les quartiers de chaque communauté sont bien délimités : bordure des trottoirs de couleurs différentes, peintures murales, drapeaux (Union Jack ou drapeau de la République) accrochés aux fenêtres. Les affrontements proviennent, entre autres, des « marcheurs » orangistes qui s'avancent d'un air conquérant, à grand fracas de Lambeg drum[7] comme pour dire « Ceci est notre pays ! Sachez rester à votre place ! ». A Belfast, une vingtaine de Peace lines[8] séparent les zones à risques tels que Shankill et Falls Roads. Au Sud, on assiste à une poussée de fièvre identitaire avec un regain d'intérêt pour la langue et les sports gaéliques en lien avec les turbulences subies par le « Tigre celtique » du fait des hauts et des bas de la conjoncture économique depuis les années 1990 ainsi que de l'immigration d'une population pourtant majoritairement catholique, celle des Polonais.

  1. Dominion

    Statut succédant à celui de colonie, liant un groupe humain à un territoire au sein de l’Empire britannique pour caractériser une forme autonomie. En 1907, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Terre-Neuve accèdent au statut de dominion. C’est le cas de l’Afrique du Sud en 1910, puis de l’Irlande en 1922.

  2. Protestant Ascendency

    Expression tardive et polémique pour désigner la domination protestante (celle de l' « Eglise d'Angleterre » et de l' « Église d'Irlande ») sur les terres d'Irlande.

  3. Hurling

    Sport collectif se jouant sur un terrain à ciel ouvert avec une balle et des crosses.

  4. Marching Season

    Saison des défilés.

  5. Guillaume d'Orange (1650-1702)

    Stathouder des Provinces-Unies à partir de 1672, il répond à l'appel du Parlement anglais et renverse Jacques II à la tête d'une armée en 1688. Couronné roi d'Angleterre, il règne jusqu'à sa mort en laissant au Parlement une large liberté d'action.

  6. Jacques II (1633-1701)

    Successeur de son frère Charles II comme roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande en 1685. Il entre en conflit avec le Parlement sur des questions à la fois politiques et religieuses (il est catholique). En 1688, il est renversé par Guillaume d'Orange, le stadhouder des Provinces-Unies, qui a débarqué à la tête d'une armée à l'appel du Parlement (Glorieuse Révolution). Exilé en France, il échoue à reconquérir son trône.

  7. Lambeg drum

    Grosse caisse.

  8. Peace lines

    « Lignes de paix » ; en l'occurrence, il s'agit de barrières de sept mètres de haut.

PrécédentPrécédentSuivantSuivant
AccueilAccueilImprimerImprimer Richard Tholoniat, Professeur émérite à l'Université du Maine (France) Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de ModificationRéalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)