Migrations religieuses (XVIe–XIXe siècles)

Introduction

L'exil laisse des empreintes sur le long terme dans les sociétés de passage ou d'établissement des réfugiés : communautés marquées par des noms de famille, traces matérielles et symboliques. Des supports fort divers sont nécessaires pour donner un aperçu aussi large que possible du phénomène des représentations transmises de générations en générations. Les actes juridiques, les livres d'histoire, les manuels scolaires et les essais viennent immédiatement à l'esprit des chercheurs, mais ils ne suffisent pas car ils sont souvent silencieux sur tel ou tel aspect. Du fait des efforts entrepris pour s'affranchir des déterminations du contexte dans lequel ils écrivent, les historiens perçoivent la difficulté de l'entreprise... justement parce qu'une partie de leur matériau est constitué par les travaux de leurs prédécesseurs. La mémoire collective ne peut, cependant, se confondre avec les seuls éléments écrits. Il faut certes restituer les représentations communément diffusées à la population par les élites, mais aussi les éléments transmis par la population elle-même.

La tâche est complexe, précisément parce que la pâte humaine ne fonctionne pas uniquement de manière mécanique. Dans la situation de l'expulsion, le sentiment de la crainte pluriséculaire d'un groupe par rapport à un autre traverse les quatre études de cas. Il est, le plus souvent, fondé sur deux termes : « fanatisme religieux » (celui attribué aux musulmans morisques ou aux catholiques irlandais par ceux qui les repoussent, par exemple) et « collusion avec l'étranger » (que cet étranger soit le « Français », l' « Allemand » ou le « Turc »). Dans la situation de l'accueil, le sentiment de la gêne apparaît aussi nettement : celle des Genevois à l'égard des huguenots, comme celle des Egyptiens à l'égard des Shawâm. Le trait caractéristique, lié au fait qu'une communauté donnée ne cherche pas spontanément à donner une image négative d'elle-même, est que la représentation du rapport persécuteur/persécuté l'emporte assez largement sur celle de l'hôte gênant/hôte gêné.

D'une manière générale, depuis le XVIe siècle, les protestants ont contribué à la diffusion de l'histoire des violences infligées aux minorités religieuses par des Etats catholiques. Ils ont dressé des martyrologes de leurs coreligionnaires dont les plus célèbres sont le Martyrologe protestant de Jean Crespin, publié à Genève en 1554, et le Livres des martyrs du protestant anglais John Foxe (1565). Des historiens protestants s'intéressèrent tôt à l'Inquisition espagnole. Le quaker américain Henry Charles Lea publia à New York en 1906-1907 une solide History of the Inquisition of Spain, en 4 volumes. Le prêtre catholique afrancesado et ancien inquisiteur Juan Antonio Llorente avait cependant publié à Paris une Histoire critique de l'Inquisition espagnole dès 1817-1818. Par le biais des supports électroniques, les conclusions de ces travaux connaissent une assez large diffusion ; ils sont relayés par d'autres recherches, souvent écrites dans une perspective polémique, pour dénoncer qui les musulmans, qui les juifs, qui les protestants, qui les catholiques. Les espaces ouverts dans les chapitres qui suivent permettent de dresser un tableau démarqué de tout engagement partisan.

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