Le Concept de ribâ
Du point de vue étymologique, le mot ribâ (nom arabe masculin) est traduit par la plupart des linguistes arabophones par prêt à doublement. Ce terme vient du verbe rabâ et arbâ qui signifie augmenter et faire accroître la valeur d'une chose à partir d'elle-même. L'interdiction de la pratique de l'intérêt est clairement évoquée à plusieurs reprises dans le Coran (2/275),
La vente est semblable à l'usure, Mais Dieu a permis la vente et Il a interdit Ribã
La question qui se pose est : le ribâ est-il l'usure ? La notion de ribâ semble plus large que celle d'usure. En droit musulman, la notion de ribâ est tellement vaste qu'elle embrasse pratiquement tous les contrats synallagmatiques ; en fait, elle correspond au profit illicite comme le décrit Joseph Schacht dans un article de l'Encyclopédie de l'islam :
...Proprement accroissement, comme terme technique usure et intérêt, de même que d'une façon générale tout avantage pécuniaire illégitime sans équivalent de service rendu...
À l'époque de la révélation coranique, la pratique du prêt à intérêt semble avoir été très répandue dans la société arabe en général et à La Mecque, Taëf et Médine, en particulier. Comme pour d'autres pratiques combattues, le prophète Muhammed, dans sa prédication, aurait adopté une démarche progressive. C'est du moins ainsi que les foqahas[1] et les mufassirun (interprètes) ont tiré des différences d'attitude vis-à-vis d'un même phénomène dans le texte coranique. Elles relèveraient d'une démarche propédeutique évitant de heurter de front, dans un premier temps, une pratique sociale bien ancrée mais que le Législateur souhaitait à terme effacer.
Les versets coraniques relatifs au ribâ sont au nombre de huit. Parmi ces versets, cinq se trouvent dans une seule sourate : la deuxième Albaqara. Les trois autres versets figurent dans les sourates suivantes : al-'Umran, al-nissã, al-rum. A travers ces sourates, le concept de ribâ apparaît être celui relatif au prêt « daïne » en arabe. Malgré plusieurs nuances il apparaît que la prohibition du prêt viserait à protéger le nécessiteux contre les abus du riche et à éviter que la dépendance conduise à l'esclavage.
L'interdiction du prêt à intérêt dans l'islam n'est pas originale puisqu'elle s'inscrit dans la logique des lois et des codes religieux qui l'ont précédé et auxquels il a emprunté. La question de l'intérêt du capital a été débattue depuis le code de Hammourabi, en passant par Aristote, la Torah, Rome et les Pères de l'Église (Voir Chapitres...). Les foqahas eux-mêmes n'ont jamais cessé de s'interroger sur la prohibition du prêt à intérêt (ribâ) suscitant moult controverses jusqu'à l'époque contemporaine et l'apparition des pratiques bancaires modernes. Pour certains, l'interdiction touche toute forme d'intérêt fixe ; pour d'autres, l'interdiction ne porte que sur les intérêts excessifs. Étant donné que les interdictions comme les affirmations coraniques ne sont pas sujettes à variations et aménagements, il est légitime de se demander si ce n'est pas le droit musulman qui aurait donné au ribâ une définition intenable l'obligeant par suite à l'amender ou le moduler par l'intermédiaire des pratiques des banques islamiques participatives. Par la suite, la tutelle coloniale a introduit de nouveaux mécanismes financiers que les juristes musulmans ont parfois permis de conserver en élaborant des ruses juridiques permettant de contourner la shar'ia. Nécessité faisant loi certains juristes ont accepté la possibilité de contracter des prêts à intérêt par exemple pour l'accès au logement ou pour l'achat d'un véhicule.
En mai 1965, dans le contexte d'essor de l'islam politique, le deuxième congrès islamique de l'académie de recherches islamiques réunissait les délégués de 35 pays majoritairement musulmans en Egypte, à al-Azhar. Les résolutions de ce congrès, relatives à la question de l'intérêt, sont élaborées sous forme de fatwas. Deux points essentiels apparaissent. Premièrement, tout type de crédit basé sur l'intérêt est prohibé qu'il s'agisse de crédit à la consommation ou de crédit à la production. Deuxièmement, les fatwas précisent ce qui est licite selon la shar'ia et qui ne rentre pas dans la sphère du ribâ, tels que les comptes courants, les comptes chèque, les accréditifs et les traites commerciales qui sont les instruments des relations entre les commerçants et les banques. Les charges facturées par la banque à l'occasion de ces opérations sont permises et ne relèvent pas du ribâ. Vingt ans plus tard, une autre institution : l'académie du fiqh de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI), réunie en session ordinaire en décembre 1985 à Djedda émettait une fatwa unique similaire prohibant le ribâ.