La finance islamique au Maroc
Depuis la réforme de la constitution le 1er juillet 2011 le Maroc est devenu une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale. L'article 6 de la Constitution marocaine affirme que « l'islâm est religion d'État, qui garantit à tous le libre exercice du culte ». Le roi est le chef spirituel, il est assisté dans cette tâche par le Conseil supérieur des ulémas, ce dernier a pour mission d'étudier les questions qui lui sont soumises par Sa Majesté Amir Al Mu'minin dans tous les domaines qui nécessitent un point de vue en relation avec la shar'ia dont le droit de regard exclusif sur les produits de la banque islamique à travers la « comité shar'ia pour la finance », qui a pour mission de veiller à la conformité des produits financiers aux principes moraux et religieux, qu'eux-mêmes établissent, pour la finance islamique. Cependant, bien que la constitution marocaine établisse l'islam comme religion d'État, le Maroc contemporain est aussi marqué par l'empreinte laissée par la colonisation française sources de nombreuses innovations au regard de l'islam y compris dans le système financier et bancaire. Ce double héritage confère au Maroc une position spécifique dans le monde arabo-musulman. Cette dualité s'observe tout particulièrement dans la législation financière et bancaire.
Ainsi, le dahir du 12 septembre 1913 formant le code des obligations et des contrats précise dans son article 870 que « Entre musulmans, la stipulation d'intérêts est nulle et rend nul le contrat, soit qu'elle soit expresse, soit qu'elle prenne la forme d'un présent ou autre avantage fait au prêteur ou à toute autre personne interposée... ». Cet article s'applique dans les rapports entre musulmans marocains ainsi qu'aux musulmans non marocains qui résident au Maroc. Cependant, l'article 872 de ce même code permet en même temps l'intérêt : « Les intérêts des sommes portées en compte courant sont dus de plein droit, par celle des parties au débit de laquelle elles figurent, à partir du jour des avances constatées. »
Ces deux articles montrent précisément comment s'articule la dualité authenticité/modernité au Maroc. Ceci laisse aux Marocains la possibilité de choisir selon ses convictions entre les produits financiers dits conventionnels et ceux dits participatifs ou islamiques.
À cela s'ajoute un troisième système informel en lien avec situation économique et sociale d'une partie de la population marocaine. Les Marocains les plus pauvres rencontrent en effet de nombreuses difficultés pour accéder au crédit. Ils choisissent donc d'autres alternatives, en s'appuyant sur les circuits de solidarité primaire, le réseau social de proximité ou encore la famille. La pseudo-hypothèque[1], ou encore le Daret[2], forme marocaine de la tontine, qui est utilisé dans toutes les classes sociales et est fondé sur la solidarité et l'absence d'intérêt. Ce ne sont donc pas deux mais trois systèmes qui cohabitent au Maroc aujourd'hui.
Alors que les premières banques islamiques se développaient dans le monde majoritairement musulman mais aussi en Europe, le Maroc est longtemps resté de marbre vis-à-vis des pressions venant de l'extérieur, et en particulier des investisseurs des pays du Golfe souhaitant y ouvrir des établissements bancaires islamiques. Les débats sur la place de la finance islamique au Maroc remontent à 1990, date de tenue d'une conférence sur le thème, organisée sous l'égide de la Banque Al Maghrib et de la banque islamique de développement. Malgré cela, la banque centrale du Maroc garda alors le statut d'observateur à l'Islamic Financial Services Board[3] (IFSB) et elle ne sollicita une pleine adhésion à cette internationale entreprise qu'en 2006.
Les banques islamiques ne sont apparues au Maroc qu'à partir de 2007 lorsque la Bank Al-Maghrib publie une recommandation relative aux produits financiers dits islamiques et ce n'est qu'en 2015 que la loi mettant en place au Maroc les banques dites « participatives », a été publiée au bulletin officiel. Comment expliquer qu'un pays musulman comme le Maroc n'a intégré qu'en 2015 les recommandations shariatiques concernant la finance ? S'agit-il d'un mouvement de retour aux sources qui revendique l'application de la shar'ia en matière financière et bancaire ou s'agit-il d'une cohabitation entre deux systèmes le conventionnel et le participatif/islamique ?
Les débats portaient également au Maroc sur l'opportunité d'ouvrir des succursales des banques islamiques du Golfe ou de créer banques islamiques nouvelles en partenariat avec les banques classiques marocaines et les banques islamiques du Golfe. La deuxième voie fut finalement privilégiée, en s'appuyant sur les spécificités marocaines et en centralisant les décisions de création de nouveaux produits financiers au sein de la banque centrale du Maroc « Bank Al Maghrib », ce que son gouverneur (wali) Abdelatif Jouahri explique clairement dans un entretien avec le journal La Tribune en 2007. La filiation des nouvelles succursales aux banques conventionnelles est assumée, tout comme l'ouverture aux capitaux du Golfe et du Moyen Orient via des joint-ventures sans pour autant laisser toute liberté aux banques de ces pays. L'objectif final de cette réforme consiste surtout à attirer les fonds des clients marocains pieux rejetant le système bancaire classique et voulant investir leur argent dans des banques respectant la shar'ia. Ce faisant la réforme permet de drainer vers le système bancaire beaucoup de fonds jusqu'alors déposés dans des « bas de laine » et de faciliter l'accès aux financements d'une population très attachée aux principes islamiques.
Par le passé, l'économie musulmane offrait trois possibilités pour une épargne productive. L'investissement direct dans des entreprises de production, le recours à la technique de l'association entre le bailleur de fonds et l'investisseur commerçant (Moudaraba[5]), ou la création d'une association (Moucharaka[4]) avec un ou plusieurs individus. Dans le cadre de la finance islamique, les banquiers et jurisconsultes musulmans ont adapté au monde contemporain les contrats de Moudaraba comme ceux de Moucharaka, créant ainsi une série d'instruments financiers islamiques adaptés à l'économie mondialisée et qui permettent d'intervenir dans le secteur des investissements productifs conformément à la pensée économique islamique.
En septembre 2007, la banque centrale marocaine «Bank Al Maghrib » publie la première directive relative aux produits islamiques officiellement nommés «alternatifs». Trois nouveaux produits bancaires sont autorisés à être commercialisés par les banques marocaines. Ces produits alternatifs sont parmi les plus répandus de la finance islamique, il s'agit l'Ijara[6] dans l'article 1, de la Moucharaka dans l'article 5 et de la Mourabaha dans l'article 9.
Le Maroc a choisi une dénomination spécifique celle de banque participative pour désigner les succursales islamiques de ses banques, dont le suivi technique et financier revient à la banque centrale du Maroc « Bank Al Maghrib » et le suivi éthique au conseil supérieur des oulémas[7] – lequel n'a cependant aucun droit de regard sur les banques conventionnelles.
En 2015, une nouvelle loi relative aux établissements de crédit et assimilés – c'est-à-dire qu'il s'adresse à tous le système bancaire marocain, sans exception – est édictée. Il s'agit de la loi 103/12 publiée au bulletin officiel le 5 mars. Cette loi consacre plusieurs articles de son Titre III (article 54 à 70) aux banques participatives et à leurs instances de conformité. L'article 54 de la loi précise que les banques participatives sont des personnes morales habilitées à exercer la réception de fond public, les opérations de crédit et la mise à la disposition de clientèle de tous le moyens de paiements et de leur gestion. Outre ces activités réservées aux établissements de crédits, les banques participatives sont également habilitées à réaliser les opérations commerciales, financière et d'investissement, à l'exclusion de toute opération impliquant la perception et le versement d'intérêt.
Les banques islamiques restent dépendantes des lois générales du système bancaire marocain. Cependant de par leur existence les Marocains ont la possibilité de choisir leur « guichet » et de souscrire à des produits financiers compatibles avec la shar'ia selon le contrôle effectué par le comité du conseil des oulémas dédié aux questions financières (art. 62) lequel se prononce sur la conformité des opérations et des produits offerts au public et s'accorde également un droit de regard sur les campagnes de communication proposées par ces établissements. La loi de 2015 précise également les produits financiers autorisés (la mourabaha, l'ijara, la moucharaka) en en ajoutant de nouveaux : la moudaraba (مضاربة en arabe classique), le contrat salam[8] (assalamo السّلَمُ en arabe classique), et l'istisna'a[9] (en arabe classique استصناع). Par ces nouveaux contrats le législateur accepte de passer des produits financiers plutôt destinés aux individus à des produits dédiés davantage aux affaires qui attirent davantage les fonds des pays de Golfe et surtout ceux de la banque islamique de développement qui a ainsi soutenu plusieurs projets au Maroc lequel constitue un de ses clients privilégiés. Ainsi Le contrat de moudaraba est un contrat d'entreprise à but lucratif entre deux partie la banque (Rab Almal) qui apporte les capitaux pendant que l'entrepreneur (Almodarib) apporte son savoir-faire et son travail. Les bénéfices engendrés sont partagés entre les deux parties prenantes selon une répartition convenue à l'avance après que l'investisseur a recouvré son capital et que les frais de gestion de l'entrepreneur ont été acquittés. La loi l'explique clairement dans son article 58. Le contrat Salam est un contrat de vente à règlement différé. Quant au contrat d'istisna'a il désigne un contrat pour la fabrication d'un article spécifique. (Texte 9).
Toutefois bien que la loi permette aux banques conventionnelles d'ouvrir des filiales participatives, dans un premier temps seule Attijari waha bank fonde en 2007 une succursale participative la banque Assafa. Elle dévoila alors deux formules essentielles, la première baptisée « Miftah Al Kheir », déclinaison du contrat de mourabaha et la seconde nommée « Miftah Al Fath », adaptation du contrat d'ijara. En revanche elle ne propose pas dans un premier temps de produit équivalent au contrat de moucharaka. Les autres banques se contentent de créer des guichets islamiques qui seront des simples départements internes au sein même de la banque conventionnelle, se chargeant de gérer un pôle de produits conforme à la shar'ia avec une nette séparation avec l'activité conventionnelle. Ce n'est qu'en juillet 2018 que le Maroc a connu l'émergence de banques participatives avec la création de sept établissements, Oumnia bank filiale CIH, Bank, Nejma filiale de la BMCI, Dar Alaman filiale de la SG, Areda filiale du CDM, Bank Alyousser filiale du GBP, Al Akhdar Bank filiale du CA, et Bank Atamwil wa inmaa filiale du BMCE). Si on traduit les termes que les banque ont choisi pour attirer les clients pieux on constate que ces termes ont un sens spirituel fort à savoir sérénité, souhait, vert, facilité, sécurité, bénédiction, étoile et satisfaction. La finance islamique continue de progresser au Maroc aujourd'hui avec l'adoption par le parlement marocain le 29 août 2019 de la loi 17/19 concernant l'assurance solidarité (Takafouf) qui sera opérationnelle dès que les textes applicatifs seront validés le conseil supérieur des oulémas.
Ainsi, les banques participatives/islamiques marocaines sont aujourd'hui régies à la fois par les règles du droit international fixant les normes comptables et prudentielles et par celles du droit exclusif contrôlées exclusivement par le conseil supérieur des oulémas marocains ce qui freine la possibilité de présenter plusieurs produits dits islamiques ayant cours ailleurs.