Religiosité des femmes à travers différentes sources marocaines médiévales
Apportons quelques brefs éclaircissements au sujet de la religiosité des femmes. Le statut religieux des femmes en islam reste inférieur à celui des hommes. Le domaine religieux institutionnel à travers ses fonctions religieuses et le pouvoir qui y est associé reste un monopole masculin.
Les différentes sources notamment les fatwā[1] considèrent les femmes comme inférieures dans le champ religieux. Ces exégètes établissent un rapport entre ce statut présumé inférieur de la femme, et certains versets du Coran ou paroles prophétiques (Hādīṯh[2]) .
L'adage qui veut que "la raison de la femme est aussi débile que sa foi" (Nāqiṣāt 'aql wa-dīn) est couramment utilisé par de nombreux juristes marocains médiévaux pour affirmer ”l'ignorance”, “la stupidité”, ”la faiblesse d'esprit” de la femme, et remettre ainsi en cause sa religiosité. Au XIVe siècle, Ibn al-Hajj[3] consacre de nombreuses pages de son livre à vilipender les femmes coupables de diffuser les innovations blâmables de son temps. De nombreux juristes sont convaincus que la foi de la plupart des femmes est incomplète. Ils critiquent bon nombre de pratiques qui les éloigneraient de la Charia (loi musulmane). Les femmes, d'après eux, ignoreraient les fondements initiaux de l'islam.
La vision misogyne est aussi reflétée par l'insistance avec laquelle on rappelle que les femmes ne sont pas éligibles à un certain nombre de fonctions que Dieu aurait réservées aux hommes. En vertu d'une parole prêtée au Prophète : « un peuple qui confie l'autorité à une femme ne prospérera jamais », les femmes ne pouvaient se voir confier de fonctions officielles ; elles ont été exclues des tâches religieuses dont jouissent les hommes telles que l'imam[4]at . L'interdiction s'applique également aux responsabilités à même de façonner le système religieux, telle que la fonction de mufti[5]. De même, il est interdit aux femmes d'exercer quelque fonction d'ordre spirituel que se soit ou des pratiques rituelles telles que le sacrifice hallal[6].
Les images et les représentations humiliantes sont exacerbées lorsqu'une femme parvient à outrepasser ces normes et à occuper un rôle de premier plan dans le domaine religieux. Pour illustrer cette problématique, nous proposons le cas d'une des anciennes femmes-prophétesses berbères dont la tradition nous a transmis la mémoire sous le nom de Tanfite, Talilte ou Tabnāite selon les sources. Elle est issue du groupe tribal Ghomára[7], établi dans le nord-ouest du Maroc non loin de l'actuelle ville de Tétouan.
Tanfite offre un exemple de leadership féminin en religion, contredisant complètement le modèle de femme souhaité par les juristes ; en effet non seulement elle participe aux affaires publiques mais elle bénéficie d'un pouvoir spirituel dans son milieu tribal. Entre 925 et 928, son neveu Ha-Mime, dont le vrai nom est Abou Mohamed Abdallah ibn Man-Allah Abou Khalaf ben Zeroual[8], se déclare prophète. Il projette de créer une religion nouvelle où s'entremêleraient anciennes croyances berbères et influences musulmanes. Ha-Mime consigne le code juridico-religieux de cette nouvelle foi en un livre rédigé en berbère que les Ghomara considéraient comme sacré et qu'ils comparaient au Coran de Muhammad. Les déclarations du géographe Al-Bakri[9] permettent d'établir que le livre saint de Ha-Mime proclamait une religion dont la foi reposait sur trois piliers : croire en lui, croire en son père Man-Allah, et croire en sa tante Tanfite.
Grâce à son sortilège, disent les sources arabes, Tanfite attire un nombre immense d'adeptes. Les tribus de la région septentrionale du Maroc la consultent souvent comme médiatrice et demandent son soutien au cours des guerres ainsi que durant les périodes de crises. Tanfite est également accusée de pratiquer l'art divinatoire. Certains chroniqueurs la dépeignent avec des mots forts méprisants ; elle est alors décrite comme une prêtresse (kahina) à caractère satanique et une sorcière à qui l'exercice de la divination confère une autorité spirituelle dans son milieu tribal. Elle est perçue comme une agitatrice qui contribue au désordre religieux dans tout le nord du Maroc. Ibn Khaldûn[10] affirme que Tanfite et son neveu Ha-Mime jouissent d'une grande renommée parmi les Berbères et que de son temps encore, (deuxième moitié du XIVème siècle), la mémoire de ces devins demeurait vivante. De plus, jusqu'à nos jours, la mémoire collective des régions du Rif retient encore le nom de cette famille. La tombe de Djou la sœur du prophète Ha-Mime, est d'ailleurs aujourd'hui encore l'objet de pèlerinages de Marocaines qui désirent se consacrer à la magie.