Aperçu sur la genèse du soufisme en Orient
La question des origines du soufisme est particulièrement discutée. Des chercheurs orientalistes comme Nicholson ou Massignon à travers des études précises, comme le cas d'Al-Hallaj ont mis en valeur les influences grecques et chrétiennes, dans leurs recherches. Pour ceux-ci la densité de la présence chrétienne dans la péninsule arabique avant l'avènement de l'islam, surtout dans la région de Najran et aux confins du Golfe, est déterminante. D'autres chercheurs ont souligné l'influence de civilisations plus lointaines et d'autres expériences mystiques venant de l'Est (L'Iran et l'Inde) ou bien du Nord via l'empire Byzantin.
Le soufisme connaît une lente et difficile affirmation au sein de l'islam mais finit, à partir du Xe siècle (IVe siècle de l'Hégire), par être reconnu comme science et pratique religieuse à part entière. Ibn Khaldoun[1] précise le contexte de cette évolution dans sa Muqqadima : « Le soufisme est une des sciences qui sont nées dans l'islam. Voici à quoi est due son origine. Le système de vie adopté par ses gens – les mystiques ou soufis- a toujours été en vigueur depuis le temps des premiers musulmans. Le plus éminents parmi les compagnons et leurs disciples, et parmi les successeurs de ceux-ci, le considéraient comme la route de la vérité et la bonne direction. Ils avaient pour base l'obligation de s'adonner constamment aux exercices de piété, de vivre uniquement pour Dieu ; de renoncer aux pompes et aux vanités du monde, de ne faire aucun cas de ce que recherche le commun des hommes, les plaisirs, les richesses et les honneurs ; enfin de fuir la société pour se livrer dans la retraite aux pratiques de la dévotion. Rien n'était plus commun parmi les compagnons et les autres fidèles des premiers temps. Lorsque, dans le second siècle de l'islamisme et dans les siècles suivants, le goût pour les biens du monde se fut répandu et que la plupart des hommes se furent laissé entrainer dans le tourbillon de la vie mondaine, on désigne les personnes qui se consacrèrent à la piété par le nom de soufis ou de moutasouefs ».
À l'origine, les soufis constituent une minorité isolée au sein d'une société musulmane où domine une tradition juridique très hostile aux écarts vis-à-vis du texte coranique et des paroles du prophète.
Les bouleversements économiques sociaux et idéologiques que connaît l'Islam dès la fin de l'ère des califes rashidûn[2] pousse des « Adorateurs de Dieu » à se mettre en retrait (Ghorba) d'une société jugée corrompue et égarée. Opposants au pouvoir en place, ces derniers prennent aussi le contre-pied des normes sociales (Ibaha) en prônant par exemple le célibat, le végétarisme, l'habillement excentrique. Ils adoptent également l'érémitisme, l'errance (siaha) et la mendicité. Ils renoncent à toute activité régulière, proclament s'en remettre à Dieu pour leur subsistance (Attawakoul). Certains rejettent même les obligations religieuses (Al farid). Par leurs comportements vus comme vulgaires, ces « adorateurs de Dieu » passent pour des fous (Majadibs[3]) . Afin de dépasser l'hostilité des oulémas et des sultans au soufisme conçu comme un courant hétérodoxe de l'islam, fragilisant la foi des fidèles et donc dangereux pour la société, émerge le groupe soufi des Zouhads lesquels s'efforcent de se démarquer de ces « outrances » initiales et pratiquent un prêche modéré.
Centre du pouvoir califal à partir du VIIIe siècle (IIe siècle de l'Hégire), puis creuset intellectuel et carrefour d'influences diverses, l'Irak est également le berceau du mouvement soufi. Au début du IXe siècle (IIIe siècle de l'Hégire), les soufis, auparavant dispersés dans l'ensemble de l'Empire abbasside jusqu'aux confins byzantins, commencent à y former des cercles autour de quelques maitres réputés et autres figures mystiques. Ils sont en mesure d'y défendre leurs positions sur la foi et sur la bonne conduite des croyants, d'y partager leurs expériences mystiques et d'y développer leurs premiers enseignements des règles mystiques, consignant des traités et des épitres sur la voie mystique : introspection (Isstibtan), éducation de l'ego (Al Moujahada) qui doit se débarrasser de ses mauvais penchants, amour du Dieu.
Aux racines du mouvement soufi se trouve également, dès le premier siècle de l'Hégire, d'autres gens pieux : les marabouts. Ces derniers avaient l'habitude d'effectuer des séjours temporaires aux cotés des soldats pour participer au Jihad contre les infidèles. Dès le VIIIe siècle (IIe siècle de l'Hégire), on voie apparaître des ribat[4]s qui servent de refuge à ces mystiques solitaires. De ribats sont ensuite édifiés en ville. D'abord destinés à abriter des écoles classiques ceux-ci deviennent, à partir du XIIIe siècle (VIIe siècle de l'Hégire), sous divers noms – Khaanika, Zaouia, Takia – des centres d'enseignement soufis.
On peut dresser un tableau historique marquant les principales étapes du mouvement soufi. Le soufisme primitif naît à Basra[5] et à Koufa[6], où les premiers adeptes vivent sous le signe de l'ascèse, de la pauvreté et de la médiation intense du Coran. Les IXe et Xe siècles (IIIe et IVe siècles de l'Hégire), marquent l'apogée du soufisme classique. Trois grandes écoles développent une gnose mystique (Maarifa), celle d’Égypte et celle de Bagdad puis celle du Khawarizme[7] .
Cette phase se clôt avec l'exécution d'Al Hallaj[10] en 922. Après cet événement, les soufis retournent à une forme de clandestinité et commencent à établir de grandes synthèses, cherchent à légitimer leur doctrine par des traités et corpus mystiques. Les plus célèbres restent le traité d'Al Qoushairi[8] et celui du grand théologien Al Ghazali[9] qui contribuent à minorer le danger que représenterait le soufisme pour l'islam officiel.
A partir du XIe siècle (Ve siècle de l'Hégire), le mouvement soufi connaît une renaissance remarquable depuis la Perse, grâce à des mystiques reconnus. A partir de cette impulsion le soufisme connaît un second âge d'or entre le XIe siècle (Ve siècle de l'Hégire) et le XVe siècle (IXe siècle de l'Hégire), avec de grandes figures, telles que Ibn Arabi[12], fondateur de la théorie de l'unicité de l'Être parfait, et Jilani[13] avec sa théorie basée sur l'unité du savoir mystique construite comme une réplique de l'effondrement du califat islamique après la disparition des de l'Empire abbasside détruit par les Mongols en 1258.
Les grands ordres soufis se constituent à partir de ces bases théoriques, mais leur expansion intervient surtout au XIIIe siècle (VIIe siècle de l'Hégire) depuis le plateau iranien et l'Asie centrale.