Théodoret de Cyr (vers 393-468)
Théodoret de Cyr est né à Antioche où il fait sa formation. En 423, il est élu évêque de la ville de Cyr, au nord de la Syrie. Il accepte la dignité sans la rechercher, travaille à développer la ville où il aide à financer un aqueduc. Il s'engage activement dans la vie de l'Eglise. Il lutte d'abord contre le paganisme et les hérésies et se mêle aux questions théologiques débattues aux grands conciles œcuméniques, notamment à Ephèse[1] 431 et à Chalcédoine[2] 451.
Il s'oppose à la doctrine monophysite[3] prônée par l'école d'Alexandrie et récuse la pensée et les procédés de ses maîtres, en particulier Cyrille[4] et Dioscore[5]. Il est condamné et déposé au Brigandage d'Ephèse[6] en 449. Il reste pendant très longtemps une figure emblématique du concile de Chalcédoine[7] ; lorsque l'empereur Justinien[8] veut concilier les monophysites, il n'hésite pas à condamner certaines idées de Théodoret au deuxième concile de Constantinople en 553[7], dit aussi concile des Trois Chapitres. Cet acharnement contre sa personne ne parvient pas à ruiner son héritage intellectuel qui demeure encore considérable.
L'Histoire Philotée rédigée vers 444, autrement dit l'histoire des moines que nous étudions ici, n'est qu'une partie mineure de son œuvre dont le rayonnement est, à l'époque, bien moindre que celui de la Vie d'Antoine écrite par Saint Athanase[9]. Cependant l'ouvrage constitue une source irremplaçable pour l'histoire de la vie chrétienne en Syrie du Nord grâce aux événements qu'il relate et au témoignage personnel de Théodoret. L'ouvrage est un recueil qui renferme 30 notices biographiques dont chacune porte le titre de l'ascète qui y est présenté. Ceux-ci sont en relation avec un ensemble d'ecclésiastiques et des laïcs dont la présence enrichit la prosopographie de l'ouvrage, et l'on peut donc en définitive recenser soixante-dix ascètes ou cénobites. Théodoret présente les fondateurs et les grands maîtres spirituels tels que Saint Maron, fondateur des Maronites, décédé avant son accession à l'épiscopat en 423, et Siméon Stylite (XXVI), qui survit à son biographe jusqu'en 459 et dont il rédige la vie vers 444.
Les contours géographiques de l'œuvre couvrent une vaste région : la Syrie du Nord avec ses divisions et prolongements comprenant l'Antiochène, Chalcidène et l'Apamène, une partie de l'Euphratésie avec l'Osrohène et la Cyrrhestique, « soit les régions qui s'étendent du golfe de Cilicie à Edesse en Mésopotamie, et de Cyrrhus à Apamée ». Il souligne l'influence mésopotamienne en Syrie. Toutefois l'étendue du rayonnement dépasse ce cadre pour toucher la Phénicie qui connaît une communauté organisée par Abrahames, le futur évêque de Carrhes cultivant la vigne du Seigneur dans un village du Liban. Il s'agit de la fondation la plus méridionale de la géographie de Théodoret. Les spécialistes de l'histoire du monachisme au XXe siècle tels que P. Festugière, A. Vööbus et P. Canivet qui l'a traduit, édité et commenté, apprécient et réhabilitent l'ouvrage.
Théodoret invoque deux motifs pour écrire cette histoire : garder la mémoire et sauver de l'oubli les grands ascètes, et édifier les générations futures. Théodoret est particulièrement bien placé pour entreprendre cette œuvre. Sa famille fréquente depuis toujours les ascètes pour leur faire des offrandes. Lui-même leur rend visite dès son plus jeune âge, jusqu'à en être lui-même un enfant de miracle[10]. Ainsi renonce-t-il à un riche patrimoine pour expérimenter la vie cénobitique dans un des deux monastères de Nikertai, près d'Apamée entre 413 et 416, loin de sa ville natale. Devenu évêque de Cyr en 423, il garde la nostalgie de cette vie paisible de prière et d'étude. Déposé en 449 au brigandage d'Ephèse, il obtient l'autorisation impériale de retourner dans son monastère d'Apamène.
De langue maternelle syriaque, il maîtrise totalement la langue grecque et acquiert une grande culture classique, dont il manie l'ensemble des procédés et figures de style. Il est donc très bien placé pour recueillir les informations, les ciseler et les diffuser à travers son œuvre.
Théodoret maîtrise le genre littéraire de la biographie des hommes illustres et connaît aussi le monachisme égyptien. Cependant, il utilise les procédés traditionnels de la biographie et de l'éloge d'une manière originale, tenant aussi à « accumuler les petits faits vécus et enracinés dans le sol de son pays » comme le souligne Pierre Canivet. Ainsi, il présente aux lecteurs des modèles typiques de vie chrétienne.
Si l'essentiel des portraits sont masculins, Théodoret consacre trois notices à des femmes, à savoir Marana et Cyra d'une part et Domnina d'autre part.
Les deux premières sont originaires de Bérée, actuellement Alep, où elles aménagent un enclos à l'entrée de la ville, et mènent une vie en plein air, n'ayant aucune protection contre les intempéries. Elles reçoivent les visites des femmes uniquement à la Pentecôte, et passent leur temps à accomplir les œuvres ascétiques. Elles portent des chaînes en fer sur leurs corps, prient d'une façon continuelle et pratiquent un jeûne semblable à Moïse et Daniel. Les pénitences qu'elles infligent sont telles que l'évêque leur rend visite et recommande prudence et modération. Fait exceptionnel pour l'époque, Marana et Cyra font le pèlerinage aux lieux saints de Jérusalem, et au retour, visitent le tombeau de Sainte Thècle. Domina quant à elle imite le genre de vie de Saint Maron[11] et dresse une petite cabane dans le jardin de sa mère. Elle mène le même combat spirituel et accomplit les mêmes œuvres ascétiques. Elle consacre son temps à chanter des hymnes, à filer et à se plonger dans une contemplation ininterrompue.
La lutte de ces recluses surpasse celle des hommes. Elles ne sont pas les seules à mener cette vie. Théodoret recense plus de deux cent cinquante qui vivent de la même manière. Si elles choisissent la vie en plein air comme des solitaires ermites, c'est pour acquérir des vertus supérieures[12], c'est-à-dire l'union avec l'époux ; le monastère, lieu de la vie commune, est fait pour la pratique des vertus moyennes[13].