Les Frères musulmans : histoire et doctrine
Le mouvement des Frères musulmans résulte d'une idée portée par une personnalité charismatique et douée d'un grand sens de l'organisation, Hassan al-Banna[1] . En mars 1928, dans une société qui est sous domination coloniale britannique, cet instituteur réunit un groupe de compagnons auxquels il fait prêter serment. De cette initiative naît un mouvement de masse, qui se répand dans toute l'Egypte, puis dans le monde majoritairement musulman et au-delà. Il devient la matrice de l' « islam politique ».Ses responsables privilégient l'action de prédication et l'engagement militant auprès des catégories sociales moyennes et populaires, artisans et ouvriers(même s'ils se trouvent, dans ce dernier cas, en concurrence avec les forces de gauche). Ils s'opposent aux grands propriétaires terriens, aux intellectuels, aux catégories sociales favorisées qui envoient leurs enfants dans des écoles anglophones ou francophones. Ils se mobilisent afin de rejeter tout ce qui vient de l'extérieur, en l'occurrence de l'Europe de l'Ouest, tant sur le plan économique et juridique que culturel.
Le positionnement idéologique général du mouvement des Frères musulmans consiste à supprimer toute distinction entre le champ politique et le champ religieux : « Le Coran est notre constitution », tel est leur principal slogan. Mais cela n'empêche pas des aménagements tactiques dans l'action quotidienne. Trois forces sont en concurrence en Egypte : le gouvernement, le Palais et les Britanniques. Après l'intronisation du roi Farouk[2] , Hassan al-Banna décide de se rapprocher du Palais, dont il espère protection et garantie d'exercice de leurs activités. Il se rapproche aussi des Britanniques, s'abstenant de les combattre par les armes, et obtenant d'eux qu'ils n'entravent pas leurs activités, notamment en milieu scolaire. Ces décisions n'allèrent pas sans tension au sein même du mouvement, dans la mesure où des responsables auraient souhaité recourir immédiatement à l'usage de la violence pour arriver à leurs fins.
La trajectoire collective des Frères musulmans peut être divisée en quatre périodes :
- Années 1930 et 1940 : L'effort est essentiellement consacré à la diffusion du message, aux activités sociales ou éducatives et à l'organisation du mouvement. Plusieurs catégories de « Frères » sont définies : assistants, associés, actifs et combattants. Il existe, en effet, une organisation armée secrète : « Les jeunes de Muhammad ». Certains quittent le mouvement pour commettre des assassinats politiques, ce qui conduit à une première vague de répression en 1948-1949.
- Années 1950 et 1960 : Après avoir combattu contre les sionistes en Palestine et participé au renversement de la monarchie en 1952-1953, les Frères musulmans sont confrontés au choix de s'associer à Nasser ou de s'y opposer. Ils optent pour la seconde solution et sont donc victimes d'une répression. C'est au cours de cette période qu'émerge la figure qui représente une voie idéologique radicale, celle de Sayyid Qutb, lui-même influencé par le savant indo-pakistanais Abû al-‘AlaMawdûdî[3] .
- Années 1970-1990 : Après la mort de Nasser, le président Sadate[5] œuvre pour une réintégration des Frères musulmans dans le champ social et politique en faisant libérer des responsables du mouvement. Cependant, sa politique économique et surtout l'accord de paix signé entre l'Egypte et Israël le désignent comme un traître et même un apostat aux yeux des Frères musulmans. Ces derniers se divisent sur l'opportunité du recours à la violence et trois groupes totalement dévoués à leurs émirs se constituent hors du mouvement : Al-Jihâd, à l'origine de l'assassinat de Sadate ; Al-Tahrîr al-Islâmî [« La libération islamique »] ; Al-Jamâ‘at al-Muslimîn [« Le Groupement des musulmans]. Ces groupes djihadistes commettent des attentats contre des Egyptiens et contre des étrangers (en particulier des touristes), et le pouvoir mène plusieurs campagnes de répression contre eux.
- Années 2000-2010 : Opposés à l'action violente contre le régime, les Frères musulmans sont tolérés au point de pouvoir faire élire certains de ses candidats sous l'étiquette « indépendants », dans les élections syndicales ou politiques. Ils agissent également sur le terrain social et éducatif de manière ouverte. Lorsque le président Moubarak[6] est chassé du pouvoir, ils décident de créer une formation politique, le parti de la Liberté et de la Justice. Ce parti remporte les élections législatives, puis l'élection présidentielle, mais il est dissout après le renversement de Mohammed Morsi[7] , le 3 juillet 2013.