L'impact de l'art religieux sur les sociétés du Maroc présaharien

Images figuratives au Maroc présaharien après le XVIe siècle

L'histoire des ksour fortifiés est mieux connue à partir du XVIe siècle, moment à partir duquel les historiens peuvent croiser les sources archéologiques et littéraires. Le ksar d'Abouam, par exemple, s'étend en largeur sur un plateau, à un kilomètre seulement des ruines de la ville de Sijilmassa. Il a remplacé l'ancienne cité, ce qui lui permet de maintenir pendant plusieurs siècles les activités résiduelles du commerce dans la région. Les ksour impériaux sont caractérisés par leurs tours très décorées, afin de matérialiser l'appartenance dynastique des occupants, souvent les fils des sultans, qui demeurent les représentants directs du pouvoir central. C'est le cas du ksar d'Almaarka du Rteb, construit sur ordre de Moulay Ismaïl[1] au début du XVIIIe siècle. Le ksar est entouré de murs d'enceinte. Il ne comporte qu'une seule porte d'entrée dont le but évident est de contrôler le passage des gens et en particulier les étrangers qui doivent remettre leurs armes en y pénétrant. Chacun forme un milieu autonome, tout en étant inséré dans un système tribal lié à l'une des puissantes confédérations de la région. A cette époque, ils sont organisés autour de la mosquée qui, par sa centralité et sa taille, apparaît comme l'élément ordonnateur de tout cet organisme urbain. Le minaret est l'élément visuel qui la désigne. L'empreinte de la Rome antique se traduit dans les types de maisons, en pisé, à patio et à étages. Elles sont souvent ornées de grandes frises géométriques , en relief, à l'extérieur : points, filets, croix, méandres, cordes, zigzags, chaînettes, losanges, carrés. La succession de bandes parallèles est la règle générale. Cet art abstrait est propre aux Berbères selon Bousquet. De l'héritage chrétien, il ne reste rien à cette époque, sinon quelques mots de l'usage du calendrier julien, et des manifestations comme le carnaval.

La religion musulmane réglemente alors tous les aspects de la vie quotidienne, à l'exception des populations juives. Se réclamant de la descendance du prophète de l'islam, les chorfa[2] bénéficient d'une grande vénération. Leur caractère sacré les éloigne du métier des armes, ils sont les arbitres des litiges entre personnes comme entre groupes. Certains villages ou ksour ont été fondés par des marabouts qui y ont installé leurs zaouïas[3] . Les habitants vantent les mérites de ce wali[4] , rattaché à la descendance de Muhammad, garant de la pérennité de l'eau, protecteur du ksar, homme-médecine à qui ils prêtent le pouvoir de garantir la santé des hommes et la fertilité des femmes. Pour ce faire, ils lui attribuent une partie des récoltes. Ces croyances sont fort enracinées dans les sociétés oasiennes. De nombreuses sources de la région prennent le nom du saint quand la pluie tarde ou que les rivières sont à sec, les tribus font la visite à leur zaouïa pour demander une bénédiction. A la mort du marabout, le tombeau devient un lieu de pèlerinage. Les moussem[5] annuels attirent des milliers d'adeptes et de pèlerins en quête de la baraka. Les plus importants courants mystiques et soufis sont représentés dans la région.

L'architecture religieuse dans ces contrées est d'une grande variété avec des traits originaux qui permettent de déterminer un style particulier : un oratoire et ses annexes, des loges d'étudiants aménagés autour d'une cour, une salle d'hôtes. A côté de la zaouïa se trouve parfois la chambre funéraire où gît la dépouille du saint patron, un complexe religieux et funéraire qui perpétue une tradition architecturale islamique très ancienne au Maroc. L'élément le plus intéressant sur le plan architectural et décoratif est la coupole qui prend, dans la plupart des cas, la forme d'une calotte hémisphérique avec des allures différentes, mais rarement des toits pyramidaux couverts de tuiles ou plats abrités de charpentes traditionnelles faites dans le style local. Vues de l'intérieur, les coupoles reposent sur des pendentifs ou sur des niches d'angles et sont ornées d'un décor peint sur plâtre ou sur enduit de chaux lissé, reproduisant des motifs géométriques enchevêtrés ou floraux pendants. Une chambre particulière est réservée aux vêtements et objets appartenant au saint : asselham (burnous), sandales, manuscrits de la zaouïa (lettres officielles de kounnach appartenant aux membres de la zaouïa, des arbres généalogiques, décrets royaux (dahirs). Cette même terre accueille également les tombes de marabouts juifs dont les noms renvoient aux prophètes bibliques, tels ceux de Sidi Chanaouil (Samuel), Sidi Daniel et Sidi Hazqil. L'hexagramme est un élément constant de l'iconographie, de l'architecture, de la numismatique et des sceaux de la dynastie alaouite marocaine jusqu'au milieu du XXe siècle, et l'étoile à six branches, enchâssée dans un croissant, se retrouve également dans les motifs des casbahs du Sud Marocain.

Les Agadirs ou greniers collectifs (Ighrman-igoudar) existent dans d'autres régions de l'Afrique du nord, mais ils sont alors désignés par d'autres appellations, comme en Tunisie méridionale, à Nafoussa dans la Tripolitaine (ksar ou temldet), aux Aurès (Kella), au Haut Atlas (Ighrm). Ils présentent des traits originaux du patrimoine architectural du Maroc présaharien. Lieux considérés traditionnellement comme sacrés, les Agadir sont entourés de diverses pratiques renvoyant à la démultiplication de la providence divine, la baraka. De multiples dispositifs spatiaux à l'intérieur du grenier -jarres ou troncs à offrandes et lucarnes et tirelires –les rattachent ainsi, normativement, à des saints locaux ou régionaux auxquels est rendu un don souvent quotidien. Les tribus assurent aussi à ces institutions communautaires une protection d'ordre spirituel, en faisant appel aux zaouïas et aux marabouts et dans un sens plus large à la sainteté des lieux et des personnes. Grâce à la baraka de ces hommes, le patrimoine architectural prend un aspect de horoum au sein duquel aucune mauvaise action ne peut être commise. Cet interdit moral assure à ses institutions l'inviolabilité mais aussi le respect de tous. En retour, chaque Agadir possède une case réservée aux saints où les tribus déposent les dons ziaras en nature offerts au saint patron après la récolte. Ces figures tutélaires sont censées réactiver cette baraka bienfaitrice de cycle agraire et garantir tout foyer contre les aléas de l'existence. Le grenier et la zaouïa forment aussi les deux termes d'un même système complémentaire et vital pour ces communautés.

  1. Moulay Ismaïl

    Sultan alaouite qui règne au Maroc entre 1657 et 1727.

  2. Chorfa

    Terme qui désigne ceux qui se réclament de la descendance du prophète Muhammad. Ce sont des personnages vénérés au Maroc.

  3. Zaouia

    La zaouïa vient du mot az-zaouïa qui désigne le « coin », l' « angle », l'oratoire. Mais le sens a pris une signification plus large en reflétant des fonctions religieuses, éducatives et même politiques. La zaouïa s'est transformée en un organisme multi-fonctions grâce à son implication dans le changement social à partir du début du XVIe siècle.

  4. Wali

    Homme pieux et, par extension, ensemble des édifices situés autour de la résidence ou du mausolée de ce personnage considéré comme saint. Cela comprend des constructions destinées à accueillir les étudiants qui viennent s'instruire en profitant de son influence bénéfique et d'autres à recevoir des voyageurs ou des mendiants qui, sous cette protection, trouvent un asile et un abri.

  5. Moussem

    Ffêtes généralement consacrées aux louanges du Prophète Muhammad durant une nuit de recueillement, de prières et de fête. Ils prennent ici la forme d'un pèlerinage qui rassemble les habitants des ksour. Il s'agit d'un moment de mobilisation intense du sacré, d'un espace et d'un temps de ferveur, qui associent les saints patrons de ces établissements et la commémoration prophétique dans une ambiguïté voulue, fondant la cérémonie comme une sorte de « mémorial collectif », et restituant le temps des origines de ces communautés organisées autour de leurs saints fondateurs.

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