De la centralité de l'icône à son rejet puis à sa justification
Au sein de la culture romano-byzantine des IVe-Ve siècles les représentations symboliques du Christ et de la Trinité sont conçues comme une règle en conformité avec les références bibliques : « Tu ne feras pas d'idole ni aucune image des cieux et tu ne te prosterneras pas devant eux » (Exode) ; « l'heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité » (Jn, 4, 23-24). Ainsi, trois animaux sont-ils privilégiés : l'agneau représente la crucifixion de l'innocent, Jésus ; la colombe représente l'Esprit-Saint ; le poisson représente le Christ, car les lettres du mot grec –ichtus-sont reprises pour les initiales de l'expression Iesous Christos Théou Yios (« Jésus-Christ Fils de Dieu Sauveur »).
Au cours des deux siècles suivant, cependant, l'icône figurant une personne acquiert une importance croissante, tant du point de vue religieux que du point de vue politique. Les fidèles chrétiens y voient un moyen de se rapprocher de la divinité. Une partie du clergé les encourage dans ces manifestations de dévotion. Dans l'espace profane, les autorités politiques utilisent, par ailleurs, la représentation figurée comme dans le cas du monnayage .
Léon III introduit une rupture dans cette tendance. En 725, il lance une campagne contre les images en cherchant à obtenir une caution religieuse. Les évêques Jean de Synades, Constantin de Nakolea et Thomas de Claudiopolis appuient cette démarche. Le patriarche Germanos[2] , en revanche, refuse de signer le décret de condamnation des images figuratives mais, le 7 janvier 730, il est contraint à la démission. L'empereur poursuit sa politique jusqu'en 741, sans recourir à la force. Son successeur, Constantin V, franchit un pas supplémentaire lors du concile de Hiéréia, du nom du palais suburbain de Constantinople où les pères conciliaires se réunissent, en l'absence du pape et des patriarches d'Antioche, de Jérusalem et d'Alexandrie. Les actes, dont les originaux ont été perdus, contiennent la position doctrinale suivante : par rapport à l'eucharistie conçue comme le « corps du Christ », l'image figurative est incapable de rendre compte de la nature divine de Jésus. Les pères conciliaires tolèrent cependant la croix comme symbole. En arrière-plan de cette politique iconoclaste se joue un affrontement entre l'empereur et les moines qui lui contestent sa prétention à se dire le représentant du Christ sur la terre. Constantin V s'attaque directement aux signes qui marquent l'état monastique : les barbes des moines sont brûlées à la poix, leurs habits noirs sont appelés « habits des ténèbres », les biens monastiques sont confisqués et parfois vendus.
C'est l'impératrice Irène qui met un terme à ces mesures et qui encourage la réaction des iconodules, portée par de hautes figures du clergé. Jean Damascène[4] conteste à l'empereur le droit de se mêler des affaires théologiques pour lesquelles il n'a pas de compétence. Il justifie l'usage des icônes en expliquant que l'adoration des fidèles n'est pas fixée sur l'objet matériel lui-même mais sur la personne qui y est représentée. Cette approche est validée par les clercs qui participent au concile de Nicée II (24 septembre-23 octobre 787). Les pères conciliaires condamnent les positions du concile de Hiéréia et défendent le recours à l'image en sus de la proclamation de la parole contenue dans les Ecritures considérées comme saintes. Ils dénoncent l'ignorance théologique des iconoclastes et défendent la légitimité et l'utilité des images sacrées pour la piété. Nicée II est un échec à court terme. Les clercs de l'empire carolingien en refusent les textes. Ceux de l'empire byzantin continuent à se déchirer et, bientôt, les iconoclastes l'emportent à nouveau sur les iconodules. Pour ce faire, Léon°V l'Arménien s'appuie sur l'évêque Antoine de Sylaion[5] et le lecteur Jean Grammatikos[6] dont le geste sera ultérieurement illustré . Cette seconde vague se prolonge jusqu'en 842, date après laquelle les iconoclastes perdent définitivement la partie. Une efflorescence artistique se déploie alors, certaines œuvres étant attribuées à des personnalités ayant défendu la place des icônes dans les églises .