Peintres iraniens et illustration d'éléments de la tradition chiite
La miniature persane n'a jamais cessé d'être pratiquée, y compris lorsque la société fut sous autorité sunnite entre la chute de l'empire des Sassanides sous Yazgard III[1] (642) et l'instauration de la dynastie chiite des Séfévides par Chah Ismaïl[2] (1501). Elle fait partie des arts traditionnels. Une inflexion apparaît au XXe siècle, au contact d'artistes européens et dans le cadre d'une internationalisation du marché des arts. Les peintres iraniens cherchent une reconnaissance, sans céder sur les spécificités de leur héritage. Par « modernité artistique » en Iran, il faut entendre un cadre nouveau qui se structure dans les années 1940. L'un des traits caractéristiques est la rupture du lien que les peintres avaient jusque-là tissé entre réalité et représentation. Des œuvres, très différentes par leur facture, proposent le même objectif : une élévation spirituelle, la perfection intérieure, en lien avec les enseignements religieux chiites.
Comme en milieu chrétien européen, notamment au cours de la première moitié du XXe siècle, mais avec d'autres termes et références, une distinction est établie entre « art religieux » et « art sacré ». L' « art religieux », selon les théoriciens, nécessite la maîtrise de principes esthétiques formels et un certain talent figuratif. L' « art sacré » exige, en revanche, un cheminement spirituel et une purification intérieure afin que l'œuvre ne soit pas le reflet du propre égo de l'artiste, mais la figuration d'une parcelle de la beauté illimitée (al-jamâl), une manifestation des différents attributs divins. Le paysage artistique ne peut cependant être réduit à ces éléments, comme le montre la tension entre la peinture néo-traditionnelle et la peinture moderne de l'école Saqqa-Khaneh
Inauguré au printemps 2005, en Iran, le Musée des Arts Imâm Ali présente une exposition importante sur la miniature persane contemporaine. Parmi les artistes retenus figure Farah Ossoul[3]i . Dans son œuvre « Hobout » (la Descente)(Exil from Paradise), le peintre cherche à exprimer quelque chose de Dieu en référence à la thématique de la beauté présente dans le texte coranique pour évoquer, par exemple, le ciel et les étoiles (37, 6 et 41, 12). Ainsi, à la fin de chaque verset évoquant la beauté de la création, des attributs de Dieu sont évoqués (Latif, ‘Alim...) afin de souligner la source ultime de ces beautés. Les différentes manifestations de la beauté n'ont donc aucune valeur intrinsèque hors de leur rôle de manifestation (non d'incarnation) et de rappel du divin par la couleur bleu qui représente le jour et la nuit, les bourgeons du Cyprès symbole d'un avenir fier et d'une nouvelle promesse en Dieu.
Dans son autre œuvre, « La Création de l'Homme » , issue de la collection « Commémoration », son travail est inspiré par le célèbre travail de fresque de Michel-Ange . La déesse (Izad Banou) et les petites fées, qui entourent cette peinture, lancent la vie humaine sur terre. Du point de vue des traditions iraniennes, les femmes sont le symbole de la vie, de l'abondance, de la fertilité, de la sagesse, car elles donnent toujours naissance à l'homme. Une majorité des religions qui y ont été pratiquées véhiculent ces coutumes et ces concepts, qui contrebalancent l'absence de figure d'une mère - ou d'un élément femelle - dans les écrits sacrés, comme ceux attribués à Zoroastre[4] évoquant le mélange des anges. Le cyprès, dans cette peinture, est le symbole d'un avenir fier et de l'éternelle jeunesse d'un homme qui a donné une nouvelle vie par une femme. Les bourgeons représentent la naissance et sa conception renouvelée. Similaire à la terre, la femme est un symbole de la bénédiction et de l'acceptation. Alors qu'elle donne la vie à l'homme, elle l'embrasse à nouveau quand il n'est plus en vie. La peinture se réfère à l'âge de déesses et à des archétypes du passé. Les nuages entourant la déesse symbolisent la fertilité. Des oiseaux transmettent différents messages. Dans sa composition, le tableau indique le temps de la nuit avec des étoiles et le temps d'une journée avec le soleil.
Les artistes iraniens les plus représentés sur la scène artistique internationale sont souvent ceux qui ont percé sur le marché de l'art du Moyen-Orient contemporain, notamment à Dubai. L'un des artistes les plus représentés, depuis 2001, est Khosrow Hasanzadeh[6] . Il participe aussi bien à l'exposition du Barbican Center qu'à celles ayant eu lieu à Boulogne-Billancourt, Freiburg, Londres et Dubai. A la fin des années 1990, il se fait connaître par des peintures stylisées de martyrs, en référence à la Guerre Iran-Irak, qu'il effectue sur le toit de son immeuble, dans le quartier traditionnel de la place Imam Hosein à Téhéran. A l'exact opposé du formalisme, il peint « Ashura » dont les formes paraissent vides. Comme les couleurs, elles sont pensées comme échappant à l'individualité de l'artiste, et relevant d'une représentation spirituelle qui le déborde. La compréhension exige à la fois une connaissance des symboles véhiculés mais aussi, comme pour toute œuvre religieuse, d'une certaine éducation de l'âme ou de la sensibilité. Puis il peint des figures saintes sur un fond calligraphié, s'inspirant de l'art religieux commémoratif . Dans un documentaire qui lui est consacré, Paint ! No Matter What, court-métrage réalisé par Maziar Bahari en 1999, cet artiste prolixe cherche à se démarquer des réseaux artistiques officiels existant à Téhéran. Il revendique une position d'outsider anticonformiste, en harmonie avec ses origines modestes proches des milieux traditionnels. Ce profil d'artiste autodidacte, contrastant avec ses œuvres aux techniques recherchées et aux sujets parfois provocateurs, séduit les milieux dominants du marché de l'art, dont il accompagne les tendances.
Au début du XXIe siècle, quelle que soit la confession à laquelle les artistes se rattachent, l'« art religieux » ou l'« art sacré » sont confrontés au triple défi de la marchandisation des œuvres, de la déculturation de ceux qui les regardent et de la sécularisation de certains milieux sociaux. Dans certains cas, une œuvre est ainsi réduite à un simple objet de collection sans lien avec le sens que l'artiste croyant a voulu transmettre. Pour surmonter ce triple défi, les artistes croyants rappellent que le but essentiel de leur art consiste à contribuer à l'éducation spirituelle de l'homme. Ils insistent sur la notion de beauté spirituelle, intiment liée à l'amour et au désir, pour nourrir et vivifier la foi. L'une des convictions à laquelle beaucoup adhèrent est que mieux l'artiste connaîtra Dieu, plus son cœur débordera d'amour, plus son art sera pur et proche du reflet divin.
Les figures et symboles représentés par les artistes chrétiens et musulmans ne sont pas identiques, et l'accent porté sur le rôle de l'artiste lui-même dans son œuvre peut être théorisé de manière différente. Il n'en reste pas moins que l'art pictural moderne apparaît comme un moyen exceptionnel de dialogue interculturel et interreligieux.