Définir historiquement le créationnisme
Le terme « créationnisme » semble apparaître en français à la fin du XIXe siècle. Le Trésor de la langue française renvoie à Ernest Renan[1] : « La science [...] continuera de nous étonner par ses révélations, qui mettront l'infini de l'espace et du temps à la place d'un créationisme (sic) mesquin, qui ne satisfait même plus l'imagination d'un enfant »
(Feuilles détachées, 1892). En anglais, le terme est relativement ancien dans un sens théologique, pour désigner la doctrine selon laquelle Dieu crée chaque âme spécifiquement (attestation de 1840 selon le Oxford English Dictionary). Au sens que nous allons employer ici, « doctrine attribuant au récit biblique de la création, interprété littéralement, une valeur scientifique »), le mot apparaît en anglais en 1860 (creationism).
Ainsi, de façon large, le créationnisme peut revendiquer dans l'Occident chrétien[2] des origines lointaines : la plus grande partie des penseurs du Moyen Age et de la première modernité (XVIe-XVIIe siècles) considèrent spontanément que la Bible donne des renseignements fiables du point de vue des sciences naturelles et de la cosmologie. Ainsi, un grand nombre de bibles anglaises des XVIIIe et XIXe siècles (Authorized Version[3] en Angleterre ou King James Bible[4] en Amérique) indiquent en titre courant la chronologie des événements selon le comput de l'évêque irlandais James Ussher[5], qui fixe la création du monde en l'an 4004 avant Jésus-Christ (et plus précisément le 23 octobre autour de 21 heures...). Cela étant dit, quand les créationnistes de la seconde moitié du XIXe siècle ou du XXe siècle annexent à leur camp Augustin[6], ou Pascal[7], ou Leibniz[8], ils commettent un anachronisme.
Le fait que le terme anglais creationism soit forgé en 1860 n'a rien d'une coïncidence, puisque l'année précédente avait vu paraître la première édition du livre de Charles Darwin[9] The Origin of Species. La théorie de Darwin renvoie au rayon des récits mythologiques l'idée que le monde aurait été créé à une date récente (il y a quelques milliers d'années) et très rapidement (en six jours). Dès lors qu'il paraît mettre en doute la vérité et l'autorité de la Bible, Darwin passe dès 1859, dans un certain nombre de milieux, comme l'ennemi public numéro un du christianisme. Il est ainsi légitime de comprendre le créationnisme comme une doctrine cherchant à répondre à la théorie darwinienne. Ou, pour le dire de façon paradoxale : sans Darwin, point de créationnisme !