Sciences et religions à l'époque contemporaine XIXe - XXe siècles

L'appel à une « islamisation de la connaissance »

L' « islamisation de la connaissance » est un projet développé par un groupe d'intellectuels se disant conscients de la crise vécue par le monde majoritairement musulman. Ils cherchent à adopter des méthodes appelant à la relecture de l'islam et intégrant d'autres points de vue méthodologiques. Ce groupe aspire à reformuler la « pensée islamique » en s'inspirant des valeurs humaines universalistes de l'islam. Ses membres veulent concilier, dans leurs études, l'histoire, la culture islamique ainsi que les cultures et les sciences contemporaines. En d'autres termes, face à une crise fondée selon eux sur un problème de « connaissance », ils veulent proposer une nouvelle synthèse de toutes les connaissances mais dans un cadre épistémologique islamique. Ce qui motive leur démarche est un double phénomène qu'ils décrivent pour le considérer négativement : l'exclusion des connaissances scientifiques de la sphère de référence de l'islam a entraîné la sécularisation de la vision scientifique du monde moderne ; les penseurs qui s'inscrivent dans le mouvement de sécularisation ou de laïcité rejettent à la fois « Dieu » et la référence islamique.

C'est le Palestinien Ismail Faruqi[1] qui, à la charnière des années 1950 et 1960, lance ce mouvement d' « islamisation de la connaissance ». Ayant reçu un enseignement universitaire aux Etats-Unis, il propose l'islamisation des formes existantes des « connaissances occidentales » en mettant l'accent sur les « valeurs humanitaires » et en ne s'intéressant que secondairement aux résultats scientifiques eux-mêmes. Il s'agit, pour lui, de montrer que les méthodes et méthodologies peuvent masquer des enjeux ou des problèmes philosophiques très profonds. La reformulation de la « pensée islamique » a comme point de départ les « croyances islamiques et humanitaires » considérées comme universelles, et les principes civilisationnels de l'Islam basés sur tawhid[2] et la « députation » dans laquelle la raison doit s'accorder aux « lois divines de l'univers ». Leur plan vise à atteindre les objectifs de la sharî‘a, entendue dans le sens de la promotion du bien-être des gens, qui consiste à préserver leur foi (din), leur âme (nafs), leur intellect (al-aql), leur progéniture (nasl) et leurs biens (mâl). Il s'articule autour du savoir, de la conciliation et du bien-être. Les premiers écrits des membres du groupe illustrent les champs qui les ont intéressés : La théorie islamique de l'économie : La philosophie et les moyens contemporains.[3]

Depuis un demi-siècle, ce groupe et ceux qui s'y réfèrent, cherchent à fournir les outils nécessaires pour « purifier » et affiner la « culture islamique », éliminer les « distorsions », les « superstitions », le « charlatanisme », les « impuretés » et les « illusions » qui l'ont infiltrée. Ils veulent élaborer les instruments éducatifs et culturels susceptibles de renforcer la constitution mentale et psychologique des musulmans et de former des générations nouvelles possédant force, capacité et productivité. Ils espèrent que leur projet d' « islamisation de la connaissance » sera un moyen pour les musulmans de sortir des frontières épistémologiques de l'Occident, donc de rétablir l' « authenticité » de leur civilisation. Ce sont les conditions nécessaires de l'éveil de l'Umma[4] afin d'activer son énergie potentielle et de lui permettre de mettre son entreprise civilisationnelle au service de l'humanité.

Plusieurs organisations servent leur dessein :

  • Association des étudiants musulmans créée aux Etats-Unis (1963)

  • Association des sciences sociales musulmanes aux Etats-Unis et au Canada (1972)

  • Institut international de la pensée islamique (IIIT) (1981)

  • Fondation de développement de l'enfant (1999)

L'IIIT, dont le siège est à Washington mais qui dispose d'antennes dans différents pays, a permis la création de centres et d'institutions dans plusieurs pays, l'organisation de conférences, de séminaire (le plus important a eu lieu en Suisse en 1977) et de colloques, la publication de livres et de périodiques en arabe, en anglais et dans d'autres langues. Une revue, intitulée Islamisation de la connaissance, a été fondée. Un programme expérimental a été initié en Malaisie. De sa réussite dépend un plus large développement du projet.

  1. Ismail Raji al-Faruqi

    (1921-1986) né à Jaffa, il reçoit une formation classique auprès de son père qui est juriste musulman et suit une scolarité moderne dans un établissement catholique. En 1948, au moment de la proclamation de l'Etat d'Israël, il s'exile au Liban où il étudie à l'American University of Beirut (AUB, anciennement Collège syrien protestant). Un an plus tard, il obtient un M. A. en philosophie à l'Université d'Indiana (Etats-Unis). Il y soutient, en 1952, une thèse intitulée Justifying the Good : Metaphysics and Epistemology of Value. Par la suite, il étudie l'islam au Caire et le christianisme à Montréal. Il enseigne dans plusieurs universités, en Amérique du Nord comme en Egypte ou au Pakistan. De 1968 à 1986, il est Professeur au sein du Département de Religion à Temple University (Etats-Unis).

  2. Tawhîd

    croyance en un Dieu unique, sans représentation mentale possible, sans associé, sans égal et sans intercesseur. Le terme se réfère aussi au fait de consacrer des actes de culte à Dieu Seul appelé « Allah » en langue arabe, qui est la langue du Coran

  3. 01

    Abo Sulaiman, Nazarlyat aI-Islam al-iqti$adiyah: al-falsafah wa'lwasa'il al-mu'a$irah Dar Misr li'I-Tiba'ah, 1960. 124p.

  4. Umma

    (dans ce contexte) communauté des musulmans, indépendamment de leur nationalité, de leurs liens sanguins et des pouvoirs politiques qui les gouvernent.

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