Usages missionnaires de l'avion et place de la religion dans les lieux de l'aéronautique
L'aéronautique favorise une vision positive du progrès, diffusée au XIXe siècle par les Saint-Simoniens et reprise par certains théologiens : elle contribue au religieux dans le sens littéral du terme, comme le souhaite ce courant de louange à la technique pacifique. Elle permet de relier les hommes, contribue à la fraternité. Le traité de Paris du 13 octobre 1919 définissant la souveraineté aérienne permet en effet une « liberté de passage inoffensif » pour les Etats contractants. En milieu européen majoritairement chrétien, l'avion, comme le train et les steamers au siècle précédent, peut contribuer à l'évangélisation de peuples ou de régions jusque là inaccessibles. Il devient un vecteur missionnaire, en particulier dans les colonies d'Afrique australe. Les Oblats de Marie Immaculée, congrégation catholique, utilisent des Junkers (des appareils allemands robustes, en métal), dès les années 1930. L'usage de l'avion est attesté également dans les missions protestantes.
Comme le train auparavant, puis l'autobus, l'aviation contribue aussi à redessiner la géographie des lieux de pèlerinages, surtout à partir du développement des vols longs courriers et de la diminution du coût du billet, dans les années 1960. Les pèlerinages qui ont le plus bénéficié de ces évolutions sont ceux qui mènent vers les lieux les plus emblématiques des religions monothéistes, permettant aux pratiquants d'aller aux sources de la religion et de leur foi. Rome, Jérusalem, La Mecque sont ainsi renforcés comme pôles majeurs de la géographie religieuse. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, ces lieux de pèlerinages acquièrent leur dimension mondiale dès lors que les liaisons aériennes et le coût plus accessible de ce type de transport permettent aux fidèles d'autres continents de s'y rendre. Les Etats portent désormais une attention importante à ces pèlerinages, mêlant aujourd'hui pèlerinage et tourisme, la publicité des compagnies aériennes contribuant à l'émergence de ce lien entre religion et économie. Se greffent également sur ces pratiques des enjeux politiques majeurs : des quotas nationaux sont ainsi établis, chaque année, par l'Arabie saoudite.
La banalisation du transport aérien nécessite des adaptations liturgiques. Pour les catholiques, elles interviennent dès les années 1940-1950 au gré de la démocratisation de l'accès au voyage aérien. Du fait de la longueur du voyage et des étapes dans des territoires où le christianisme est alors inexistant, le droit canon évolue en tenant compte des décisions prises au début du siècle pour définir les pratiques religieuses dans les paquebots. En 1938, le R.P Capello rappelle l'application au voyage aérien du canon 833 autorisant la possibilité de la confession dans le voyage et en escale comme les navires. Un Motu proprio[1] du 16 décembre 1947 précise que le prêtre confesseur dispose de ses pouvoir ordinaires dans les airs, mais aussi à terre dans les escales inférieures à 3 jours. La question de la pratique religieuse suscite des interrogations à la fois pour les autorités religieuses mais aussi pour les croyants. La durée du voyage nécessitant de se restaurer oblige les compagnies aériennes à tenir compte des pratiques alimentaires : nourriture halal pour les musulmans, kascher pour les juifs ou respectant d'autres interdits pour les bouddhistes et les hindous par exemple. Pour les musulmans, pour faciliter la pratique de la prière pendant le voyage, la situation de La Mecque peut être indiquée dans certaines compagnies ou sur certains vols sur les téléviseurs installés dans les avions, de même que l'annonce de la rupture du jeûne effectuée au cours de certains vols pendant le ramadan. Les manuels de prière du musulman de même que les guides de pèlerins présentent des précisions sur la validité des prières faites dans les espaces aéroportuaires ou les comportements moraux à tenir lors des vols. Ces indications sont issues d'une jurisprudence musulmane qui s'adapte aux nouveaux moyens de locomotion. Certaines compagnies aériennes liées à des Etats musulmans, comme Saudi Arabian Airlines, Royal Brunei, Kuwait Airways, réservent un espace de prière à l'intérieur même des appareils.
Les religions ont également une visibilité dans les aérodromes et aéroports. En 1965, la brochure de l'Aéro-club de Besançon illustre le fait que les hangars se sont transformés en « cathédrale » le temps d'une messe solennelle avec bénédiction des aéronefs. L'attention est cependant désormais davantage accordée à ceux qui sont transportés, pour motif d'affaires, de tourisme ou de migration, et les cérémonies prennent une forme . Les premières aumôneries avec des prêtres attachés à celles-ci sont créées dans les aéroports au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à Heatrow par exemple dès 1946. Quinze ans plus tard, en 1961, le 1er congrès des aumôniers d'aéroports est organisé à l'initiative des prêtres catholiques de Bruxelles et Paris-Orly. A cette occasion est créée l'International Association of Civil Aviation Chaplains devenue rapidement œcuménique en réunissant des représentants des cultes chrétien, juif, musulman, bouddhiste et hindou. Ils peuvent officier quelle que soit la religion de ceux qui les sollicitent pour des prières, conseils, aide au voyage, et notamment en cas de catastrophe aérienne. Le logo de cette association internationale représentant une personne à genou, apparemment en prière, facilite dans les aéroports du monde entier la reconnaissance des lieux de prière et de méditation. Actuellement, 130 aéroports comprennent des lieux spécifiques réservés aux activités religieuses, dont 2 en Turquie. Les espaces de prière sont œcuméniques ou dans d'autres cas, chaque religion dispose de son propre lieu d'accueil et de culte dans la même chapelle. A London Gatwick Airport, existe une aumônerie inter-religieuse, qui bénéficie d'au moins trois centres spirituels avec une salle de prière pour chaque culte en zone publique dans les terminaux. L'organisation est similaire à celle de l'aéroport de Francfort. Les aumôniers accueillent les croyants et assurent les rites de chaque religion. Ils jouent un rôle important lors de décès de voyageurs, au nombre de quelques uns chaque année dans des aéroports qui voient transiter des centaines de milliers de personnes. Leur rôle est aussi important dans les centres de rétention des aéroports, tel celui de Stockholm.