Honorer les dieux dans l'espace méditerranéen antique et ses marges

Rites et images des dieux dans l'imaginaire de la société africaine

Chez les Libyens, la divinité est perçue comme une force surnaturelle, protectrice, qui investit toute sorte de supports : fleuves et montagnes, animaux, parties du corps humain. La manière de représenter les dieux sous la forme d'animaux sauvages ou domestiques peut être critiquée, comme le rapporte Strabon[1]. Certains rites antiques survivent jusqu'à une époque tardive. Ils sont pratiqués sans savoir que leur origine remonte à une époque très ancienne, y compris dans un contexte monothéiste. Certains cultes berbères marquent de leur empreinte d'autres religions. Pour étudier ce sujet nous possédons des témoignages archéologiques et épigraphiques, ainsi que des sources littéraires anciennes.

Les cultes comportent presque tous les mêmes sacrifices rituels, mais il y a des dieux à qui sont offerts des sacrifices humains : ainsi, selon un récit antique, on égorge des enfants dans les temples d'Elissa[2]; dans un autre, sur une scène de théâtre, un personnage ayant pris la figure d'Hercule est brûlé vif. Les temples ont les mêmes fonctions, les mêmes serviteurs mais le panthéon est organisé selon une hiérarchie à respecter. Chacun des dieux possède une ou plusieurs vertus, et leurs disciples croient que chaque dieu naît d'un père et d'une mère. La conception de la triade (dieu, déesse et le fils) est liée à l'idée de la fécondité, elle existe dans plusieurs religions, surtout celles de l'Orient. Les noms des dieux son différents selon les populations, les fêtes sont situées à des dates différentes, mais leurs fonctions se ressemblent. Ainsi les peuples qui s'installent au Cap Soloeis[3], se rendent au pied du promontoire où est érigé le lieu de culte. Sur cet emplacement sacré, a été érigé un autel en l'honneur de Neptune avec des images de lions et de dauphins. Les habitants y viennent pour soigner leurs juments stériles.

Dans un des récits rapportés, un certain Guenfan se rend au temple d'Ammon pour connaître la destinée de son fils impie. Le disciple offre, suivant l'usage païen, un sacrifice au dieu. Le sang funèbre d'animaux coule sur les autels. Le taureau est frappé au front avec une hache à deux tranchants. Après la mort de l'animal, la prêtresse saisit dans ses mains le tambour. Au bout d'un certain temps, elle bondit autour des autels en poussant de grands cris. Sa tête s'agite et elle frémit de tout son être. Elle est considérée comme étant pleine de souffle divin, elle contemple de ses yeux ardents et rouges, la lune qui brille dans la nuit. Ses cheveux se dressent sur son front, la rougeur répandue sur son visage atteste la présence du dieu pour les fidèles. Son corps devient brûlant, sa respiration haletante, sa bouche s'entrouvre, et interroge avec soin la destinée. Elle révèle les mystères de l'avenir. Alors selon les pratiques antiques, le prêtre arrache les entrailles des animaux et interroge les destinées. Il dresse un autel qu'il couvre de tous les côtés par des voiles sacrés. Ce rite antique est perpétué à l'époque contemporaine, chez les marabouts[4] dispersés en Afrique du nord : les tombes faisant alors office d'autel sont couvertes d'un drap vert.

Au jour de la fête religieuse, les Libyens préparent les buffets selon les coutumes. Ils organisent de magnifiques funérailles pour les morts tués par un éléphant, à la chasse ou à la guerre. Ils chantent des cantiques en leur honneur. Par contre les Augiles ne connaissent pas d'autres dieux que les mânes. Ils jurent par ces derniers, les consultent comme des oracles et quand ils leur adressent quelques vœux, ils se couchent sur des tombeaux. Ils prennent pour réalité les songes qu'ils ont vécus pendant leur sommeil. Et, pour que les enfants bénéficient de la protection d'un dieu, leurs parents leur donnent un nom qui a pour radical le nom de ce même dieu.

Créer des dieux aux noms différents et aux tâches variées est une solution pour mettre fin aux méditations croissantes et pour bénéficier de moments de tranquillité. Ces dieux et leurs actions sont des justifications aux manœuvres de la nature et de l'univers. Aussi leurs temples sont pour les Libyens des refuges ou des abris pendant la guerre et la paix. Ils pensent que ces dieux sont toujours avec eux, aussi bien dans les moments de soif que de faim. Ainsi, lors la naissance, ils exhortent leur propre protection ou celle de leurs familles. Les dieux sont invoqués aussi pendant les moments de faiblesse et au moment de la mort qui est une situation plus éprouvante, délicate et obscure.

Différents rites sont mentionnés par les auteurs du Moyen âge. Ils confirment que plusieurs de ces coutumes sont des pratiques d'origine antique. Les habitants prononcent des mots dont ils ne connaissent pas la signification. Au premier jour de l'année, les petits enfants portent des masques. Cette mascarade est une scène qui inaugure l'année agricole. Les enfants se dirigent vers les maisons des notables pour demander des fruits secs. Au jour d'Achoura[5] qui, pour les peuples de la région font un peu écho à la saint Jean, les habitants allument des feux de joie dans tous les quartiers de la ville. Le matin d'Achoura les gens se lavent avec une eau bénite, surtout les filles qui désirent se marier et se protéger contre les maladies et la sorcellerie. L'eau est pour ces populations un élément de purification, elle a le pouvoir de chasser les démons en aspergeant le seuil des portes.

Les Libyens n'ont pas laissé énormément de documents, permettant de mieux connaître leurs divinités pendant l'Antiquité, comme l'ont fait les Orientaux, les Grecs et les Romains. On ne connaît rien l'origine de ces dieux, de leur conception de l'apparition de l'univers, ainsi que de l'être humain, de leurs mythes et de la majorité des cultes. La disparition de Tanit comme divinité poliade[6], l'identification progressive des dieux puniques avec les dieux gréco-romains et l'épanouissement du mysticisme sont des facteurs qui exercent une grande influence sur les changements de la population de l'Afrique du nord antique, changements qui favorisent des formes d'individualisation des comportements.

  1. Strabon

    Écrivain originaire d'Amasée (Pont), contemporain d'Auguste, auteur d'un ouvrage appelé Géographie, décrivant région par région le monde connu à son époque.

  2. Elissa

    princesse phénicienne échappée de Tyr et fondatrice de Carthage. Elle est la Didon de l'Énéide et sa fin tragique serait à l'origine de pratiques infanticides.

  3. Cap Soloeis

    Cap cantin ou Ras al-Badouza, sur la côte atlantique du Maroc (Maurétanie Tingitane, province formée sous l'empereur Claude dont la capitale est Tingi/Tanger).

  4. Marabout

    le saint homme, celui qui consacre sa vie à la foi.

  5. Achoura

    Nom donné à une fête musulmane au Maghreb, dont le contenu ne fait pas référence à la commémoration du martyre de Husayn par les chiites lorsqu'ils célèbrent Achoura.

  6. Poliade

    l'adjectif provient de la racine grecque polis, qui signifie la cité. La divinité poliade est celle qui protège une cité ; les habitants lui rendent un culte spécifique.

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