Echmoun : la légende, le nom et les attributs
Selon la légende rapportée par Philon de Byblos[1], Echmoun naît du côté de l'actuelle Beyrouth à la suite d'une relation entre Sydyk[2] et une Kosharôt[3]. Très beau jeune homme ayant pour nom Payan, passionné de chasse, il vient souvent dans les vallées boisées de la région de Sidon. Astarté tombe amoureuse de lui. Voulant conserver sa pureté, il se mutile à mort avec une hache. Affligée par ce drame, Astarté le ramène à la vie grâce à sa chaleur créatrice et fait de lui le dieu de la fertilité et de la guérison.
La plupart des noms théophores[4] qui comprennent celui d'Echmoun lui octroient les attributs communs aux divinités sémitiques, à savoir la protection, la garde et la grâce. Il apparaît entre 1380 et 1180 av. J.-C. et signifie « soigneur »
: « Il pansait les plaies, soignait au moyen de potions simples, et prescrivait pour les maladies graves un traitement psychique, affirmant que l'on pouvait guérir ces affections en imprimant une direction convenable aux passions »
(R. Khouri). Au milieu du VIIIe s. av. J.-C., on le trouve associé à Melqart[5] dans un traité entre le roi d'Assyrie, Assurnirari V[6] et Mati'el[7], roi d'Arpad. En 674, Melqart/Echmoun sont garants d'un pacte entre l'Assyrie et Tyr : ils sont appelés à déporter le peuple de Tyr et à le priver de nourriture, de vêtements et d'huile au cas où le roi de Tyr ne respecterait pas ses engagements envers le roi d'Assyrie Asarhaddon[8]. L'étymologie du nom d'Echmoun n'est pas bien établie : variante de shem qui signifie « le nom »
; épithète signifiant « seigneur »
, comme Baal. Selon Damascius[9], Eshmounos vient de la notion de chaleur vitale ou bien signifie le « huitième »
des enfants de Sydyk : les sept jours de la semaine sont répartis sur ses sept enfants ; le huitième jour est employé par Echmoun pour soigner et sauvegarder les malades. Une pièce de monnaie datant du IIIe siècle ap. J.-C. représente d'un côté les huit dieux autour d'une inscription désignant une galère, de l'autre Echmoun, debout et nu entre deux serpents. Mais le nom peut aussi tenir son origine du mot šmn (« huile »
) indiquant « celui qui oint »
, celui qui assure la guérison. Il peut enfin être relié à un terme arabe ultérieur سمانى –samana- qui signifie « caille »
: selon le mythe, Melqart est mis à mort en Libye par Typhon[10], mais Ioalos[11] son compagnon le fait renaître en lui faisant sentir la fumée d'une caille rôtie.
Outre Melqart, Eschmoun est associé à Adonis[13] de Byblos qui, comme les autres, est un dieu ayant connu la mort et la renaissance. A la fin du IVe s. av. J.-C., il est aussi identifié au dieu grec Asclépios[14] –comme le montrent des pièces de monnaies trouvées à Acre- puis au dieu romain Esculape[15] sous la République, et à tous les deux dieux guérisseurs ayant comme attribut le serpent. Son culte est attesté en 677 av. J.-C., avant celui d'Asclépios et d'Esculape. Contrairement à ce dernier, Echmoun est souvent représenté sous un aspect juvénile. Sa beauté insurpassable est associée aux caractères suivants : il est imberbe, efféminé et juvénile. Un syncrétisme est aussi noué entre Echmoun et Apollon[16] tous deux dieux guérisseurs, pasteurs et ayant comme attribut le serpent.
Le culte d'Echmoun est célébré en Palestine, en Egypte et à Chypre. A Carthage, le temple qui lui est consacré est le plus célèbre et le plus beau de tous. Il s'élève sur l'acropole de Byrsa et abrite les réunions du sénat. Echmoun, primitivement dieu chtonien[17], est un dieu chasseur qui protège et garde ses fidèles. Il défend les agriculteurs et les bergers contre les fauves et les bêtes sauvages et veille sur les mortels contre les mauvais esprits et les démons de la maladie. Près du temple de Sidon, une feuille en or a été découverte qui montre trois personnages : Echmoun, Hygie[18] et Télesphore[19]. Echmoun porte un diadème sur sa tête et à la main droite un bâton sur lequel s'embobine un serpent. Hygie porte un serpent qui boit dans une coupe. Entre eux se tient un garçon qui préside à la guérison. De même, des pièces de monnaies de Beyrouth présentent Echmoun debout entre deux serpents, or les Phéniciens utilisaient des serpents apprivoisés pour certaines cures. Ce symbole, repris par Asclépios, devient plus tard le caducée des médecins. Dieu de la fertilité, Echmoun symbolise aussi l'alternance des saisons, ce qui meurt et renaît chaque année. Les Phéniciens célèbrent, au début de chaque printemps, sa souffrance, sa mort et sa renaissance.