Une cité vouée au rayonnement du christianisme primitif
La destinée particulière d'Antioche est liée au christianisme. La cité accueille une communauté chrétienne fondée en 36, après celle de Jérusalem, à la suite du martyre d'Etienne[1]. C'est là que, selon les textes constitutifs du Nouveau Testament, les disciples de Jésus reçoivent l'appellation des chrétiens : « c'est à Antioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de
(Ac 11, 19-26). Sous l'impulsion de Paul[2] et de Barnabé[3], la communauté chrétienne d'Antioche acquiert des traits qui dépassent les barrières communautaires : ils se traduisent par l'acceptation de la confession de foi et le baptême de nouveaux adhérents, sans les obliger de passer par la circoncision. Antioche apparaît comme le pays le plus christianisé de tout l'Empire, même si d'autres localités reçoivent le témoignage des apôtres : Tyr (Ac 21, 4-7), Ptolémaïs (Ac 21, 7), Damas (Ac 9, 3-23) et Sidon (Ac 27,3). Antioche participe à l'élaboration du credo et à la formulation des grandes doctrines christologiques et trinitaires[4]. La présence massive et efficace de ses suffragants dans les quatre premiers conciles est remarquable. Quatre-vingts évêques participent au concile de Nicée en 325[5] et cent vingt à celui Chalcédoine en 451[6].« chrétiens »
»
Antioche assume la responsabilité de porter l'Evangile dans tous les territoires qui relèvent de sa juridiction, notamment en Mésopotamie, en Osrohène et Adiabène. Ainsi Edesse adopte le christianisme au IIe siècle comme en témoigne l'épitaphe d'Abercius. Son école théologique suit de près celle d'Antioche et s'illustre par l'enseignement de saint Ephrem[7]. C'est là que voit le jour la Peshitta[8] ou la vulgate syriaque de la Bible, ainsi que l'harmonisation des quatre évangiles effectuée par Tatien[9] et appelée le Diatessaron[10]. Malgré les aléas du temps, Edesse demeure un foyer culturel rayonnant et influent jusqu'à sa prise et sa destruction par les Seldjoukides au XIIe siècle. Cependant l'élan missionnaire se heurte à deux écueils : la politique impériale et les controverses théologiques.
La politique impériale engendre des persécutions, particulièrement sévères au temps de Dioclétien[11] et de Maximin Daïa[12] et cause des centaines des martyrs à la tête desquels se trouve Ignace d'Antioche[13]. L'exemple des martyrs édifie les autres chrétiens, les engage à se réconforter dans leur foi et donne lieu à un véritable culte affermi par la construction des martyria[14] et la translation des reliques[15]. Le calendrier de commémoration marque l'espace et le temps et revigore le dynamisme missionnaire. A l'égard d'Antioche et de ses environs, le plateau calcaire au nord de la Syrie est garni des sanctuaires et des martyria, dont Qalat Semaan et Qalb Loze, témoins éloquents d'un christianisme bien enraciné. La Mésopotamie, l'Arabie et la Phénicie possèdent leurs églises et leurs sanctuaires. La procession aux martyria initie le pèlerinage vers des lieux saints.
Quant aux querelles théologiques, elles produisent souvent des dissensions internes durables, et parfois des schismes[16] que les conciles ne parviennent pas à résoudre. Ainsi le concile d'Ephèse de 431[17] donne naissance à l'Eglise nestorienne qui se développe en Perse et qui porte l'Evangile tout au long de la route de la soie jusqu'en Chine. Le concile de Chalcédoine de 451 donne naissance à l'Eglise syriaque orthodoxe et permet à Jérusalem de se constituer en patriarcat indépendant et à Chypre de se rendre autonome. Lors de ces deux conciles, Antioche acquiert son statut canonique définitif et occupe le 4e rang au sein de la pentarchie[18]. Les scissions infléchissent le cours de son histoire en l'orientant davantage vers les populations arabes et persanes.
Presque en concomitance avec le martyre, un phénomène typique émerge au sein du christianisme antiochien : le monachisme. Il prend plusieurs formes : consécration[19] au sein du monde dans une fratrie appelée par Aphraate[20] « Filles et Fils de l'alliance »
, érémitisme[21] sous toutes les allures anachorétisme[22], stylisme[23], cloisonnement et enfin cénobitisme[24] ou vie communautaire dans des monastères. Ces moines jouent un rôle important dans l'expansion du christianisme et la diffusion de la culture. Leur rayonnement culturel atteint l'Arménie, la Géorgie et diverses régions de la Syrie et de la Mésopotamie. Certains poussent le rigorisme de l'ascèse à l'extrême et tombent dans des abus condamnés par l'Eglise, tels que l'encratisme[25] ou le messalianisme[26].