L'indépendance politique vis-à-vis du prince-évêque
La prise d'indépendance politique de Genève par rapport à l'évêque se déroule de la fin du XVe siècle au début du XVIe siècle. En 1439, le siège épiscopal revient à la maison de Savoie et l'évêque devient l'unique interlocuteur des magistrats de la commune. À partir de 1450, le déclin des foires genevoises au profit des foires françaises entraîne l'affaiblissement économique de Genève et influence le climat politique qui y règne. Une série de mesures diplomatiques ainsi que la présence des marchands suisses et allemands palliant l'absence des marchands français modèrent cette décroissance. Les contacts établis sur le plan économique avec les cantons suisses[1], entraînent une ouverture et un renforcement des relations entre Genève et la Suisse confédérée. Un rapprochement dont les répercussions sur le plan politique et religieux se manifestent au début du XVIe siècle. Ainsi lorsque les liens entre Genève et la maison de Savoie se détériorent, il revient aux Cantons suisses d'arbitrer leurs différends. En effet, certains Genevois, favorables à une alliance renforcée avec les Confédérés, s'opposent aux partisans d'un rapprochement avec la maison de Savoie. L'escalade des tensions entre Genevois et Savoyards perdure jusqu'au mois de février 1519, date à laquelle Fribourg signe un traité de combourgeoisie[2] avec les indépendantistes genevois. Mais cet accord est annulé trois mois plus tard sous les pressions de la Diète fédérale[3] qui refuse de s'aliéner la Savoie. Les mesures punitives de la part du duc de Savoie à l'égard des « patriotes » sont brutales. De 1519 à 1525, après l'arrestation et l'exécution du chef des insurgés, Philibert Berthelier[4], le duc de Savoie accapare l'exercice de la justice civile, s'octroie le droit de nommer les syndics et confirme ainsi la mainmise politique de la maison de Savoie sur Genève. Ces décisions démontrent la place et la portée symbolique des fonctions politiques et judiciaires lors des conflits d'autorités. Finalement, les Cantons suisses apportent leur soutien aux indépendantistes et, en février 1526, des Genevois fugitifs signent un traité de combourgeoisie et d'assistance avec Berne et Fribourg. De retour à Genève, outrepassant l'autorité du Petit Conseil dont plusieurs membres soutiennent les Savoyards, les fugitifs persuadent le Conseil Général de ratifier le traité de combourgeoisie. Soutenue politiquement et militairement par les Cantons suisses, Genève fait ainsi un premier pas vers l'autonomie en coupant les liens qui l'unissaient à la maison de Savoie.
À partir de 1526, afin de consolider leur position, les vainqueurs cherchent à évincer les influences extérieures et à contrôler les organes décisionnels de la commune. La rupture avec la maison de Savoie entraîne ainsi une modification des institutions politiques et judiciaires. Les changements portent sur l'organisation des Conseils et le mode d'élection des syndics définis depuis le XIVe siècle. Dans le but de contrôler les Conseils, les indépendantistes s'inspirent des mesures prises par leurs adversaires en 1519. Sur ce principe, le Conseil des Deux-Cents[5], une nouvelle structure décisionnelle située entre le Conseil Général et le Petit Conseil, est créé pour limiter le poids de l'influence des partisans de la Savoie présents au sein des Conseils. Les changements visent aussi les institutions judiciaires. En 1527, afin de pacifier ses relations avec la ville, l'évêque cède aux magistrats, ses droits sur la justice civile. En 1529, pour exercer ce nouveau droit de justice et remplacer le vidomne issu de la maison de Savoie, la ville met en place le Tribunal du lieutenant composé d'un lieutenant de justice[6] et de quatre auditeurs. Ainsi, l'émancipation politique de la ville par rapport à la Savoie provoque des changements institutionnels qui ont pour conséquence un contrôle réciproque de la composition des Conseils et la concentration des pouvoirs judicaires, civils et criminels, aux mains des magistrats.
L'impact de ces changements se mesure lors de la deuxième étape de l'émancipation politique de Genève. En effet, de 1528 à 1535, la prise d'autonomie par rapport au prince-évêque Pierre de La Baume[7] se déroule autour d'incidents et d'événements marqués du sceau confessionnel mais déclenchés par des conflits entre l'évêque et le Petit Conseil au sujet du suivi des cas criminels. Deux affaires révèlent plus particulièrement les conflits de juridictions entre l'évêque et la commune. Dans la première affaire, le meurtre du chanoine fribourgeois Pierre Werli[8], l'évêque réclame que l'instruction soit menée par le tribunal de l'official[9]. Les magistrats de la ville, en tant que juges des causes criminelles, refusent d'obtempérer et se saisissent du cas. En juillet 1533, à la suite de la mise en échec de son autorité, l'évêque quitte la ville. La seconde affaire, en 1534, s'avère plus politique puisqu'un dénommé Portier[10], secrétaire à la cour épiscopale, est accusé de trahison en collusion avec l'évêque. Le secrétaire est poursuivi, condamné et exécuté malgré les lettres de grâce octroyées par l'évêque. La remise en cause du droit de grâce et le refus des magistrats de se plier aux revendications de l'évêque, entraînent la rupture complète des relations entre la ville et l'évêque. Dans le cadre de cette affaire qui aurait dû être instruite par le procureur fiscal, membre de la cour de l'évêque, un procureur général[11] est nommé pour le remplacer et représenter le ministère public lors de l'instruction. Finalement, le 1er octobre 1534, confrontées à l'absence de l'évêque soupçonné de trahison à leur encontre, les autorités communales déclarent le siège épiscopal vacant et transforment le siège de l'évêché en prison. En 1535, la cité bat monnaie et exerce l'ensemble des droits régaliens : Genève devient république souveraine. La « Seigneurie » de Genève qu'incarne le Petit Conseil remplace la principauté épiscopale et s'approprie les biens et les territoires de l'évêque. Les liens avec l'Empire se relâchent mais ne disparaîtront totalement qu'à la fin de l'Ancien Régime.