Un processus de construction étatique à l'œuvre
Sur le plan territorial, Alphonse X[1] hérite en 1252 d'un royaume récemment constitué. Son père Ferdinand III[2] a réunifié en 1230 le León[3] et la Castille, puis conquis l'Andalousie[4], notamment la vieille ville califale de Cordoue[5] en 1236, puis la capitale almohade (depuis 1171) de Séville en 1248. Alphonse X ne l'agrandit pas à proprement parler, mais il en contrôle fermement la totalité. À l'inverse, Philippe le Bel[6] ne gouverne directement que le domaine royal ; il contribue à l'étendre par l'intégration de la Champagne. De grandes principautés féodales subsistent (la Bourgogne[7], et surtout la Flandre[8] sans cesse révoltée), et le système des apanages place de grandes provinces entre les mains d'autres membres de la famille royale.
Vis-à-vis de l'Empire et de la Papauté, la Castille bénéficie d'une grande autonomie. Alphonse X aspire à l'empire hispanique en vertu d'une tradition locale voulant que ce titre revienne à un souverain gouvernant trois royaumes. Il prétend aussi, à partir de 1256, au titre d'empereur germanique, sa mère étant une princesse allemande. Élu roi des Romains en 1257 en même temps qu'un concurrent, Richard de Cornouaille[9], il défend sa candidature jusqu'en 1275. Il reste par ailleurs le maître incontesté de son clergé, sur lequel Rome a peu d'influence. Une génération plus tard, le royaume de France semble encore en phase de conquête. Profitant de la faiblesse de l'Empire germanique, il commence seulement à affirmer son indépendance complète. Ses rapports sont très tendus avec le pape Boniface VIII[10], dont le pouvoir interfère avec le sien à deux niveaux. Sur le plan fiscal, le roi de France perd les décimes[11] de son clergé dans un premier conflit, entre 1296 et 1297. Une concurrence juridictionnelle occasionne le second conflit, entre 1301 et 1303. Philippe le Bel, excommunié par le pape, cherche à traduire celui-ci en justice pour hérésie. L'affaire se termine par « l'attentat d'Anagni »
, où le pape est humilié, puis par sa mort la même année. Le rapport de force instauré avec son successeur, Clément V[12], entérine la victoire du roi de France, grâce à l'appui de son clergé, sur les prétentions théocratiques du pape, qui abandonne les Templiers[13] en 1312 pour éviter le procès posthume de Boniface VIII.
La construction de l'État se heurte à plus de résistances en Castille qu'en France. La candidature impériale d'Alphonse X entraîne un fort accroissement de la pression fiscale. Une assemblée représentative du royaume, les Cortes[14], créée par son père, est réunie très régulièrement pour y consentir. Le souverain tente d'unifier le droit, d'abord municipal avec le Fuero Real[15] à partir de 1255, puis général avec la composition d'un grand code juridique entre 1256 et 1265, les Siete Partidas[16], qui synthétise la totalité du droit médiéval, canon, romain et féodal, dans le cadre de sa candidature impériale. Ces entreprises centralisatrices lui valent de multiples révoltes : celles de la haute noblesse à quatre reprises, celle des musulmans du royaume, et la résistance des villes et de l'Église. Lorsqu'en 1282 se pose la question de sa succession, ces forces hostiles soutiennent la rébellion de l'infant Sanche[17], et Alphonse X meurt écarté du pouvoir. La question fiscale est également centrale dans la France de Philippe le Bel, en raison de la multiplication des officiers royaux et des guerres contre la Flandre. Pour vaincre les résistances à une fiscalité croissante, il réunit en 1314 les États du royaume, première « assemblée représentative »
en France, soixante ans après la Castille. Le conflit avec la Papauté montre, par ailleurs, que le roi entend être l'unique maître de la justice. Les oppositions ne se cristallisent cependant pas en soulèvement.