La compétition politique pour le contrôle de l'Etat
La constitution de clans princiers
La montée en puissance des institutions monarchiques au début du XIVe siècle fait de leur contrôle un enjeu de taille pour les factions politiques qui se partagent ou aspirent au pouvoir à la Cour royale. Ces factions de cour sont avant tout caractéristiques des ambitions des princes du sang, ceux de la famille royale. Avant leur accès au trône en 1328, les Valois jouaient déjà un rôle important au Conseil, notamment avec Charles de Valois, père de Philippe VI. Sous les premiers Valois, un parti « navarrais » se forme autour de Charles d'Evreux-Navarre[1], descendant direct de Philippe le Bel[2] par sa mère. Il rassemble des nobles du nord et du sud de la France, déçus par la politique du roi. Ce parti parvient à influer sur les choix du gouvernement royal, en peuplant de manière intermittente le Conseil de ses affidés, et ce jusqu'à l'effacement du roi de Navarre après la défaite de Cocherel en 1364. En Angleterre, la minorité et la faiblesse de Richard II[3] Plantagenêt encouragent la multiplication des complots qui aboutissent à son éviction par son cousin germain Henri Bolingbroke[4] duc de Lancastre.
En France, la minorité puis la folie de Charles VI[5] autorisent les oncles du roi, les ducs Louis d'Anjou, Jean de Berry et Philippe de Bourgogne, à exercer la régence. A partir de 1404, le frère du roi, Louis duc d'Orléans, et son cousin germain Jean-sans-Peur[6] duc de Bourgogne s'opposent ouvertement pour le contrôle des finances publiques, contrôle qui a des répercussions directes sur les ressources qu'ils peuvent escompter de leurs propres principautés. En 1407, le second fait assassiner le premier. Ce coup de force enclenche une guerre princière, dite querelle des Armagnacs et des Bourguignons, dont l'objet essentiel est la mainmise sur le gouvernement royal. A chaque retournement de fortune des princes, les institutions monarchiques subissent de véritables épurations. Les membres du Conseil, les conseillers au Parlement, les maîtres des Comptes, les professeurs de l'Université sont désormais nommés selon leur appartenance partisane. Après 1418 et la chute de Paris qui tombe aux mains des Anglais, l'administration centrale française se scinde en deux. A Paris, se maintient un gouvernement d'obédience anglo-bourguignonne, tandis qu'une partie des conseillers et des maîtres émigrent à Bourges et Poitiers autour du futur Charles VII. Le règne de ce dernier reste marqué par les manœuvres de plusieurs clans autour de sa personne. En Angleterre, les défaites sur le continent provoquent à partir de 1455 un regain de tensions qui sont à l'origine de la guerre des Deux Roses entre les maisons royales de Lancastre et d'York.
Le pouvoir royal et les assemblées représentatives
Le gouvernement de l'Etat n'est pas convoité que par les princes. Au milieu du XIVe siècle, de nouvelles institutions royales apparaissent en France : les Etats[7]. Les premiers se tiennent en Langue d'Oïl en 1343. Les Etats, où siègent des représentants de la noblesse, du clergé et des villes, accordent le consentement des élites à l'impôt extraordinaire. Or, entre 1355 et 1358, les factions qui s'y expriment sont tentées de profiter des difficultés de la monarchie pour lui imposer leurs vues, notamment sur la fixation de l'assiette des contributions, le contrôle des dépenses et le retour à une monnaie plus solide. Cependant, la reprise en main par l'autorité royale annihile l'espoir d'un partage du pouvoir. Les Etats qui se réunissent dans les années 1420-1430 sont plus dociles et votent des subsides qui deviennent annuels, en dépit de l'état de grande faiblesse de la royauté. Par la suite, les Etats ne sont plus réunis qu'exceptionnellement, ce qui atténue très fortement leur rôle.
En Angleterre, les crises que traverse le royaume sont autant d'occasions pour le Parlement d'arracher des concessions de la part de la monarchie. En 1340-1341, au moment où la campagne en France semble marquer le pas, Edouard III[8] lui confère des pouvoirs étendus en matière fiscale extraordinaire. A la fin de son règne, en 1376, quand les Anglais n'ont plus que des possessions réduites en France (Calais, Cherbourg, Brest, Bordeaux et Bayonne), le « Bon Parlement »
obtient d'être officiellement constitué en deux chambres, celle des Lords, composée des barons laïques et ecclésiastiques, et celles des Communautés ou Communes[9], la House of Commouns, composée des représentants des comtés et des bourgs. La chambre des Communes est dotée d'un président, le speaker, à même de mieux organiser les débats de cette assemblée et de leur donner plus de poids, ainsi que de parler au nom de la chambre. La chambre des Communes reçoit également la prérogative d'user de la procédure judiciaire de l'impeachment qui permet de mettre en accusation et de faire juger par le Parlement des membres du Conseil royal. Sous Richard II, en 1386-1387, la déficience du roi donne une large marge de manœuvre au Parlement, qui, en 1399, approuve le changement de dynastie.
Les nouvelles formes d'engagement politique
Au tournant des XIVe et XVe siècles, les princes et les plus hautes élites des deux royaumes manifestent le souhait d'influer sur la direction d'un appareil d'Etat renforcé. Pour intervenir dans le gouvernement monarchique, source de tout pouvoir désormais, cette société politique a renouvelé les moyens de son action : la noblesse française a, par exemple, constitué des ligues pour tenter d'obtenir plus de libertés face aux empiètements des officiers royaux sur leurs privilèges. La proximité du roi reste toutefois fondamentale. En France, la gestion des affaires, la détention d'un poste important, comme la lieutenance du roi en Languedoc, sont souvent l'apanage des princes des fleurs de lys, proches parents du monarque. Les unions matrimoniales sont aussi une manière d'associer une grande famille aristocratique à la maison de France et donc aux prises de décision. La royauté emploie toujours les multiples ressorts du contrat féodal[10] pour lier la haute noblesse à son autorité. Ainsi, par le second traité de Guérande de 1381, Charles VI reconnaît la maison ducale des Montfort en Bretagne, jusqu'alors alliée aux Anglais, mais reçoit en échange l'hommage[11] de Jean IV[12]. Au cours des décennies qui suivent, les ducs de Bretagne, réintégrés dans les hautes sphères du pouvoir, participent aux conflits qui ont pour objectif la mainmise sur le gouvernement.
Les rois recourent également plus fréquemment à d'autres formes de contractualisation de leurs relations avec les Grands ou avec leurs serviteurs, tel l'octroi de pensions, la retenue financée de bandes armées, la fondation d'ordres de chevalerie[13], comme celui de l'Etoile par Jean le Bon... Si les princes entre eux exploitent toutes les subtilités des liens féodo-vassaliques, ils n'hésitent pas à conclure des alliances qui n'ont pas pour contrepartie la remise d'un fief. En 1410, la ligue de Gien coalise une grande part des princes français derrière le comte Bernard VII[14] d'Armagnac contre le duc de Bourgogne dont les agissements leur paraissent remettre en cause l'équilibre des forces. La querelle des Armagnacs et des Bourguignons suscite la création de signes de reconnaissance de part et d'autre, écharpe blanche pour les Armagnacs, croix de Saint André rouge pour les Bourguignons. A Paris, les populations sont sommées de se déclarer pour l'un ou l'autre camp. La politisation au-delà des couches supérieures de la société semble progresser. Cet état de fait attesterait de l'émergence dans les consciences de l'Etat, dont l'avenir ne laisse pas indifférent.
L'Eglise elle-même est impliquée dans la guerre civile en France. Dans le cadre du Grand Schisme d'Occident, les Bourguignons, comme les Anglais, sont favorables au pape de Rome et obtiennent du roi, dès 1398 et à nouveau en 1407 la soustraction d'obédience, c'est-à-dire le retrait de l'obéissance du royaume français au pape d'Avignon. Les Armagnacs quant à eux soutiennent la papauté avignonnaise. Ainsi, le clergé du nord de la France dans son ensemble appuie le camp anglo-bourguignon jusqu'en 1435, date à laquelle Charles VII se réconcilie avec le duc de Bourgogne. Par exemple, Jeanne d'Arc est condamnée en 1431 par un tribunal d'Eglise présidé à Rouen par l'évêque de Beauvais Pierre Cauchon partisan des Bourguignons. Même après 1417 et la fin du Grand Schisme au concile de Constance, les derniers papes avignonnais trouvent encore quelques secours dans le midi de la France jusqu'en 1430. Néanmoins, après 1438 et la reconquête de la France anglaise, le clergé gallican se retrouve dans une fidélité étroite aux Valois.
De même, en Angleterre, le haut clergé est amené à prendre parti dans la guerre des Deux Roses. En 1461, l'évêque de Londres accepte de couronner Edouard IV d'York[15] à Westminster, alors qu'Henri VI de Lancastre[16] est encore légitimement roi. Toutefois, dans les crises successorales de 1461, 1483 et 1485, l'Eglise joue un rôle mineur, le Parlement confirmant son rôle de principal garant de la légitimité monarchique.