Le renforcement des institutions royales
Un roi soutenu par l'Eglise
Les monarchies française et anglaise sont de « droit divin »
. Le roi est désigné par Dieu pour exercer le gouvernement du royaume. En France, sa légitimité est confirmée par le sacre dans la cathédrale de Reims, en Angleterre par le couronnement en l'abbaye de Westminster. Les plus hauts dignitaires ecclésiastiques attribuent ainsi au souverain un surcroît d'autorité. Celui-ci fait, en retour, le serment de défendre l'Eglise. Cette alliance ne se dément pas au cours de la période étudiée. Même dans les moments difficiles, par exemple les crises successorales, les clercs dans leur ensemble soutiennent et exaltent l'autorité monarchique. Les universités[1] fondées au XIIIe siècle et qui sont des établissements ecclésiastiques, notamment celles de Paris et d'Oxford, forment les administrateurs du royaume. Par ailleurs, le monarque a le contrôle des nominations d'un certain nombre d'évêques et d'abbés dits « royaux »
. Les seigneuries que dirigent ces prélats appuient ainsi le plus souvent la politique du roi. Ce dernier perçoit la régale[2], c'est-à-dire les revenus d'un évêché royal lorsque celui-ci est vacant.
A partir du début du XIVe siècle, le pouvoir royal parvient à atténuer l'indépendance des tribunaux ecclésiastiques et à imposer les biens du clergé, via des décimes[3] prélevées sous le prétexte de financer de nouvelles croisades. Le Parlement[4] anglais prend des mesures pour contrer l'opposition de la Papauté qui voit lui échapper une partie de son autorité. Les innovations bureaucratiques de la monarchie pontificale sont d'ailleurs imitées. La crise que rencontre la Papauté à partir du Grand Schisme[5] de 1378 et la montée en puissance du conciliarisme[6] favorisent l'autonomisation des Eglises « nationales »
. Le monarque se fait le défenseur des libertés du clergé du royaume face à un pape affaibli. En France, en 1438, Charles VII[7] édicte une Pragmatique Sanction devant l'assemblée du clergé réunie à Bourges. Le compromis place l'Eglise gallicane sous la coupe du roi, notamment en ce qui concerne la collation[8] de nombreux bénéfices[9]. Les impôts pontificaux sur le clergé français sont abolis. La suprématie de la justice royale sur les juridictions ecclésiastiques est consacrée. Ce gallicanisme[10] royal s'exprime jusque dans des recommandations se rapportant aux pratiques liturgiques et à la discipline que doivent suivre les clercs.
La spécialisation des institutions centrales de la monarchie
Au XIIIe siècle, les services domestiques du palais royal, l'Hôtel du roi[11], se distinguent peu à peu des bureaux administratifs de la monarchie. En France, les grands officiers et officiers ordinaires de la Couronne secondent le roi : le chancelier, garde des sceaux[12], et ses notaires ou secrétaires, le connétable[13] et ses maréchaux, les chambellans[14] ... En Angleterre, les métiers de la Maison du roi sont répartis entre la garde-robe[15] et la chambre. Le monarque choisit pour les charges de l'Hôtel du roi des aristocrates et des ecclésiastiques auxquels il tient ainsi à conférer une récompense et un surcroît d'influence dans leur domaine de compétences. La plupart d'entre eux assistent et représentent effectivement le monarque dans l'administration du royaume à travers ses différents conseils. Dans les deux pays, le Conseil royal devient l'organisme, issu de la Cour, au sein duquel sont prises les principales décisions. Le roi choisit lui-même les membres de son Conseil. Il y introduit notamment des hommes, clercs ou laïcs, en qui il a confiance et qui y jouent un rôle primordial. En l'absence du roi, le chancelier dirige les débats. N'importe quelle question peut être évoquée au Conseil, selon le bon plaisir du monarque. Le roi peut réunir son Conseil en cour de justice en retenant certaines affaires, comme les procès de grands seigneurs, parfois traités au sein de la Cour des Pairs. En France, le Conseil du roi fait également office de cour de cassation des arrêts du Parlement[16].
A partir du début du XIVe siècle, la justice monarchique s'affirme comme supérieure à toute autre juridiction, qu'elle soit seigneuriale, ecclésiastique ou municipale. Les appels des jugements des cours inférieures, royales ou non, sont reçus par une haute cour de justice. En France, c'est le Parlement de Paris installé dans le palais royal de l'île de la Cité et parfois présidé par le chancelier. Il est composé de conseillers, aussi bien laïcs que clercs, ces derniers étant capables de traiter des affaires relevant du droit canon[17]. En Angleterre, il s'agit du Banc ou Cour des Plaids Communs et en appel du Banc du Roi, dont les juges, les eyres, siègent au palais de Westminster. Ces organes judiciaires se structurent progressivement par l'édiction de règlements royaux. En 1345, le roi Philippe de Valois[18] délivre au Parlement ses statuts définitifs. A partir de 1443 et de la création officielle du Parlement de Toulouse, le Parlement de Paris est doublé par plusieurs parlements provinciaux qui permettent d'amplifier sur le territoire la présence de l'autorité monarchique en matière de justice.
En raison de la guerre, les besoins en argent de la monarchie ne cessent de croître. En Angleterre, depuis le XIIe siècle, l'Echiquier[19] est l'organisme central pour toutes les finances royales. L'Echiquier d'en bas concentre entre ses mains l'ensemble des rentrées d'argent. L'Echiquier d'en haut dresse des états de finance qui sont des prémices de budget prévisionnel. Il vérifie les comptes et juge les officiers prévaricateurs. En France, les finances ordinaires[20] sont séparées des finances extraordinaires[21]. La Chambre du Trésor a la responsabilité des premières à partir de 1379-1390. La Cour des Aides, installée entre 1356 et 1390, centralise les subsides tirés des taxes directes et indirectes. La Chambre des Comptes[22] qui a été réorganisée par l'ordonnance de Vivier-en-Brie de 1320, a une fonction générale de contrôle juridictionnel et de prévision.
Le développement de l'administration provinciale
En Angleterre, l'agencement administratif du territoire est ancien et ne différencie pas domaine royal et grands fiefs. Le royaume est divisé en shires[23] ou comtés, eux-mêmes subdivisés en hundreds ou centaines. Les officiers locaux non gagés sont désignés parmi la petite noblesse régionale, la gentry. Au niveau du comté, le sheriff[24] est l'exécutant des sentences de la cour comtale, comme celui des ordres monarchiques, à savoir le paiement des impôts, l'appel au devoir militaire. Le coroner, à la tête de la cour comtale, enquête en matière criminelle. Les escheators sont les intendants des propriétés royales. Toutefois, l'administration provinciale de la justice est complétée par des tournées régulières, effectuées par les magistrats londoniens du Banc du Roi. En 1360, des juges de paix royaux, les keepers, sont établis localement.
En France, depuis le XIIIe siècle, le monarque est représenté en province par des baillis ou des sénéchaux[25]. Les deux termes recouvrent les mêmes fonctions. On trouve des bailliages plutôt dans le nord du royaume, des sénéchaussées plutôt dans le sud et l'ouest. Ces officiers locaux rémunérés, issus de la basse aristocratie et juridiquement formés, rendent la justice au nom du roi, perçoivent les revenus domaniaux, sont chargés du maintien de l'ordre, lèvent des troupes pour l'ost royal[26] et coiffent les agents locaux du Domaine, les prévôts[27]. Leur circonscription s'étend aux grands fiefs, y compris ecclésiastiques, hors du domaine royal stricto sensu, dans lesquels leurs interventions sont de plus en plus fréquentes, même si elles rencontrent de fortes résistances. Vers 1350, sous Jean II le Bon[28], face à la multiplicité de leurs activités, la monarchie leur adjoint des lieutenants de justice, officiers de judicature experts en droit, qui président les séances des tribunaux de bailliage ou de sénéchaussée. Sont également placés à leurs côtés des officiers de finance domaniaux, des receveurs ordinaires.
A partir du milieu du XIVe siècle, les exigences financières de la monarchie française engendrées par les guerres obligent à la mise en place de nouvelles circonscriptions fiscales quadrillant tout le royaume pour répartir et collecter les impôts directs extraordinaires, prélevés paroisse par paroisse[29]. Ces contributions sont votées par les assemblées représentatives. Initialement, ces assemblées, notamment les Etats de Langue d'Oïl de 1355 pour le nord du royaume, s'arrogent également le droit de désigner les hommes qui doivent procéder à la répartition et à la collecte des impositions, ce sont les élus. Les circonscriptions sont donc appelées des élections[30], dont les limites décalquent souvent celles des diocèses[31]. Dès les années 1360, le pouvoir royal reprend le contrôle des élections et nomme lui-même les élus, chapeautés par des généraux des finances[32].
La mise en place progressive de l'armée permanente
Au début de la guerre de Cent Ans, l'armée du roi d'Angleterre bénéficie d'une supériorité sur celle de son adversaire. Les contingents sont organisés en corps de troupes spécialisés. Lors des premières batailles, à L'Ecluse (1340), à Crécy (1346) et à Poitiers (1356), les archers gallois démontrent la supériorité de ces dispositions. De leur côté, les Français recourent d'une part aux cohortes féodales fournies par le service vassalique et agencées en batailles[35] , d'autre part au mercenariat, notamment pour les sections spécifiques, marine et unités d'arbalétriers. Cette combinaison manque de cohérence. L'efficacité anglaise est telle que le roi de France Charles V[33] préfère éviter les rencontres frontales. Il regagne le terrain perdu en restructurant l'organisation défensive du royaume. En 1367, il oblige les villes à rénover leurs enceintes et à entraîner des groupes de combattants locaux. En 1373, il fait le choix d'une armée entièrement contractuelle. Le tout est distribué en compagnies[34] conduites par des capitaines directement responsables et chargés du recrutement, du commandement et du paiement des soldats.
En 1415, le désastre français d'Azincourt permet à Henri V[36] de prendre pied en Normandie et dans le bassin parisien. Charles VII renverse le rapport de force dans les années 1430. Il expulse l'ennemi anglais de Normandie et de Guyenne entre 1450 et 1453, grâce à l'institution préalable d'une armée permanente. En 1445, l'ordonnance de Louppy-le-Châtel prévoit la segmentation de l'ensemble de l'armée en quinze compagnies, dites « de l'ordonnance »
. Chaque compagnie, engagée de manière continue, est composée de cent lances, comprenant chacune six hommes. En 1448, l'ordonnance du Mans oblige à la constitution d'une réserve de francs-archers. En outre, le roi favorise la formation d'un corps d'artillerie de campagne.