Une souveraineté temporelle, doublée d'une souveraineté spirituelle
Des Anglais se sont installés en Irlande à partir de 1170-1171, sous le règne d’Henri II[1] Plantagenêt. Les institutions y manifestent la suspicion des Anglais à l’égard des habitants de l’île. Le chef de l’exécutif est un Lord Deputy nommé par le roi d’Angleterre. Il travaille en principe avec un Conseil d’Irlande aux pouvoirs mal définis qui, depuis la fin du XVe siècle, fait appliquer la politique décidée par le privy Council[2] anglais. Il existe à Dublin un Parlement dont la composition est comparable à celle du Parlement anglais. Il se divise en une Chambre haute où siégent des « lords spirituels » et des « lords temporels », et une Chambre des communes où se réunissent une centaine de députés à la fin du règne d’Elisabeth Ière[3] : 66 représentants des 33 comtés et une quarantaine de députés des villes et des bourgs. Le fonctionnement de ce Parlement révèle les tensions qui opposent les Anglais aux Irlandais. Depuis 1494, la Poynings’ Law a mis fin à l’autonomie de l’Irlande. Le Lord Deputy et le Conseil d’Irlande doivent présenter au Privy Council anglais tout projet de loi (bill) que le Parlement irlandais souhaite discuter. Après avoir été approuvé par le roi d’Angleterre et son Conseil, le bill est soumis au Parlement de Dublin qui peut l’accepter, le rejeter en bloc ou l’amender ; mais en cas d’amendement il est à nouveau envoyé à Londres.
Bien que majoritaires dans l’île, les Irlandais ne participent donc pas au gouvernement de leur pays, les Anglais leur concèdent seulement des responsabilités locales. En 1541, à l’initiative d’Henri VIII[4], le roi d’Angleterre adopte le titre de roi d’Irlande afin de réaffirmer son pouvoir face à l’Eglise de Rome qui revendique la possession de l’île qu’elle considère comme un fief pontifical. Cette décision s’inscrit dans le contexte du conflit qui oppose Henri VIII au pape depuis que le Parlement anglais a voté en 1534 l’Acte de Suprématie faisant du souverain Tudor le « chef suprême sur terre de l’Eglise d’Angleterre »
. Le roi peut désormais réprimer les « hérésies », nommer les évêques et organiser les visites pastorales pour corriger « erreurs » et « abus ». Autrement dit, la doctrine, l’évaluation des opinions erronées et la définition des voies du « salut » relèvent désormais de l’autorité politique. Même Constantin[5] et l’empereur du Saint Empire[6] n’avaient pas osé aller jusque-là.
La présence anglaise en Irlande reste cependant discrète dans la première moitié du XVIe siècle. La common law[7] anglaise n’est appliquée que dans la (ou le) Pale, autrement dit la région qui s’étend de Dublin à Dundalk. Il s’agit d’un petit territoire, longtemps protégé par une palissade (palus en latin) qui lui donna son nom. Outre cette modeste tête de pont, plusieurs régions font allégeance au roi d’Angleterre, notamment dans l’est et le sud de l’île, comme les comtés de Kildare, d’Ormond et de Desmond.