Introduction

Concevoir l'union avec l'Absolu

C'est sans doute sur ce point que la différence entre religions immanentes et transcendantes est la plus flagrante. En effet, pour les premières l'expérience mystique est une union de soi à Soi alors que les secondes l'envisagent comme une union avec un Dieu créateur, extérieur au monde.

Le yoga – une des six écoles orthodoxes (Darshana[1]) de l'hindouisme – est assimilé, en partie abusivement, à la mystique indienne. Il porte, d'une part, l'idée d'unification de soi au cosmos et de soi à Soi et, d'autre part, d'une délivrance de la roue des naissances (samsara[2]). Le deuxième aphorisme des Yoga Sûtra[3], résume bien la philosophie de l'école : « le yoga consiste à arrêter les actualisations fluctuantes de la matière pensante ». Du fait de ses origines indiennes, il n'est pas surprenant que le bouddhisme présente des liens évidents avec la mystique de l'union portée par le yoga. Atteindre le nirvâna constitue là aussi une ultime délivrance et une union à Bouddha car tout homme est en soi nature de Bouddha

Au sein des trois principales religions monothéistes l'union est associée à l'idée d'amour de Dieu – une injonction récurrente dans les textes sacrés juifs, chrétiens et musulmans (Deut 6:5 ; Coran 3:31 & 5:54). Cependant si l'amour de Dieu reste le moteur de l'union mystique, reste à définir la qualité de l'amour, la forme et la finalité de l'union. Pour certains Pères grecs de l’Église, elle conduit à vivre l'expérience du Christ quand pour d'autres l'union conduit à un retour à l'état adamique. C'est également cette position que défend le kabbaliste Isaac Louria.

Les Pères Grecs de l’Église débattent surtout de l'emploi des termes éros et agapè pour définir l'amour dû à Dieu. Eros porte clairement l'idée d'un amour charnel alors qu'agapè désigne un amour désintéressé et uniquement spirituel. Les défenseurs d'éros s'appuient en particulier sur le Cantique des cantiques qui sert de référence à la fois à l'union mystique et à la consommation de cette union. Les partisans d'agapè rechignent à accepter l'idée du désir physique envers Dieu. Progressivement, le christianisme vient à défendre l'idée – et c'est ce qui fait sa spécificité – que l'union mystique avec Dieu n'est pas un esseulement mais au contraire une communion ; Aimer Dieu c'est, comme lui, aimer tous les hommes.

Les polémiques entre amour charnel et spirituel se retrouvent dans l'islam entre ishq – le désir amoureux – et hubb – l'amour désintéressé. Elles y sont même renforcées dans la mesure où l'idée même d'union à Dieu pose problème dans la mesure où ce dernier n'a révélé que sa parole à l'homme et au monde ce qui rend donc encore plus présomptueux le principe d'union ou d'identité (Ittihad) avec Dieu. En revanche si le kabbaliste[4] se décrit comme un amoureux de la Torah, le judaïsme se montre très pudique quant aux descriptions de l'union mystique. D'ailleurs, s'il emploie bien les termes d'ahdut (unification) pour décrire le chemin mystique et d'ihoud (unité) pour décrire le bout de la route, il répugne à parler d'union avec Dieu préférant le terme de devequth qui porte plutôt l'idée d'une adhésion à Dieu.

  1. Darshana

    L'hindouisme (hindu darm) est une religion ou système de pensée du sous-continent indien dont la caractéristique est de n'avoir ni fondateur attesté ni clergé constitué. L'hindouisme repose sur un socle scripturaire les veda, des textes mis par écrit entre 1700 et 500 avant l'ère chrétienne. Six écoles orthodoxes (astika : acceptant l'autorité des veda) ou darshana sont aujourd'hui reconnues. Bouddhisme, jaïnisme, sikkhisme sont en revanche considérés comme des nâstika (écoles non orthodoxes).

  2. samsara

    Samsara est un terme sanscrit signifiant littéralement « ce qui circule » et désigne de réincarnations des âmes soumises à la souffrance et à l'ignorance. Ce concept se retrouve aussi bien dans le bouddhisme que dans le jaïnisme ou le sikhisme.

  3. Yoga Sûtra

    Le Yoga Sûtra (Aphorismes du yoga), attribué à Patanjali – sans doute en réalité deux auteurs assez éloignés l'un de l'autre chronologiquement –, est le texte central de cette école (darshana) de l'hindouisme. Sa forme classique est stabilisée autour des IIIe et IVe s. Constitué d'aphorismes le plus souvent sibyllins, il a fait l'objet de nombreuses gloses y compris contemporaines.

  4. kabbaliste

    La kabbale de l'hébreu qabbalah litt. « réception » est la branche ésotérique du judaïsme, loi secrète donnée par Dieu.

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