Pour Boutmy, la liberté de conscience, dans sa dimension politique, ne vient pas de l’âge de la Réforme (XVIe siècle), mais de celui des Révolutions (XVIIIe siècle).
Car il ne faut pas l’oublier – et j’y reviens ici – la liberté de conscience a été la grande conquête de l’âge qui a précédé la Révolution. Le christianisme avait introduit dans le monde l’habitude de concevoir isolément chaque individu, d’estimer chaque âme un prix infini, et de faire du salut personnel de chaque chrétien la grande affaire de sa vie. La Réforme avait simplement réaffirmé ces thèses, qui contiennent virtuellement la liberté de conscience. Mais à ces thèses, elle avait joint toute la ferveur d’une croyance, qui s’estimait, de bonne foi, la seule capable d’opérer le salut des hommes, et par là, elle avait détruit les chances que son retour aux purs principes de l’évangile avait données à la liberté de conscience. C’est le XVIIIe siècle qui, affranchi de toute ferveur religieuse, a trouvé la véritable base de la tolérance ; il l’a fondée, non sur le scepticisme, quoi que celui-ci y ait aidé, mais sur l’espèce de doute méthodique qui précède toute connaissance et toute croyance. En résumé, c’est d’une part l’esprit du XVIIIe siècle, d’autre part la cause économique que j’ai signalée plus haut, qui ont, bien mieux que la tentative avortée de Roger Williams et la Réforme, où M. Jellinek veut en voir la source, fait germer et se développer rapidement la liberté religieuse en Amérique.