Le Jihâd islamique selon Qutb

Ceux qui justifient le jihâd islamique en y voyant la défense de la « patrie musulmane » réduisent considérablement le système islamique… Tel n’est pas le point de vue de l’Islam en la matière. Il s’agit là d’une perception à la mode dans la conscience musulmane. Le territoire comme tel n’a pas une si grande importance. La seule valeur de la terre dans la conception musulmane, c’est si la souveraineté et l’autorité de Dieu s’y exercent. Le lieu où la foi est née et où le système divin a pris le premier effet est le dâr al-islâm, le point de départ du mouvement de libération de l’homme. Bien sûr, protéger le territoire de l’Islam c’est protéger le système et la société qu’il régit, mais le but ultime du jihâd n’est nullement la protection d’un territoire. Il est bien plutôt le moyen d’instaurer le royaume de Dieu au sein du territoire et ensuite, à partir de cette base, de se déplacer dans le monde entier, le genre humain tout entier. C’est le genre humain qui concerne cette religion, la terre entière est son champ d’opération. […] Nous ne devons pas nous laisser aller à la pression de la réalité présente et de la conjoncture internationale et en arriver à contredire la nature même de notre religion en cherchant à excuser poliment le jihâd islamique comme n’ayant été que défensif et temporaire. Le jihâd suit son cours, avec ou sans de telles excuses. […] Evidemment elle doit se défendre contre les attaques, sa simple existence bousculant l’environnement social païen, l’esclavage des hommes à d’autres hommes ; elle frappe pour se défendre. Cela est inévitable puisqu’elle prêche ouvertement la seigneurie universelle de Dieu seul, la libération de l’homme de toute servitude autre qu’à Dieu, et qu’elle s’incarne dans un groupe social organisé et dynamique dirigé de manière tout à fait neuve, toute autre que la manière païenne ancienne, ne reconnaissant aucune souveraineté humaine puisque Dieu seul est souverain. […] Il s’agit de la lutte naturelle entre deux formes d’existence qui ne peuvent longtemps coexister. Tout cela est vrai et, selon cette vue, continuera de l’être pour l’Islam, l’autodéfense et la guerre défensive lui sont imposées et sont une obligation.
Mais il est une autre vérité, plus fondamentale. […] Les camps ennemis peuvent très bien choisir de rester sans attaquer l’Islam aussi longtemps qu’il les laisse pratiquer l’esclavage d’humains à des humains dans leurs frontières et qu’il n’essaie pas d’étendre son appel et sa doctrine de libération jusqu’à eux. Mais l’Islam ne peut pas être en trêve réelle avec eux, tant qu’ils n’auront pas déclaré leur capitulation en payant la capitation pour garantir la libre prédication sans plus aucune entrave matérielle. Telle est en effet la nature de cette religion, telle est sa tâche, puisqu’elle est la proclamation à tous de la souveraineté de Dieu et la libération des hommes de leur esclavage à d’autres que Dieu. Il est très différent de concevoir ainsi l’Islam et de le concevoir comme restreint à des limites régionales ou nationales et ne passant à l’action que par peur de l’attaque ennemie. Entendu de cette dernière façon, il perd la raison d’être de son expansion originelle.