C’est une chose très singulière, qu’une ville qui compte à peine 24 000 âmes, & dont
le territoire morcelé ne contient pas trente villages, ne laisse pas d’être un état souverain, &
une des villes les plus florissantes de l’Europe : riche par sa liberté & par son commerce. […]
Toutes les Sciences & presque tous les Arts ont été si bien cultivés à Genève, qu’on seroit
surpris de voir la liste des savans & des artistes en tout genre que cette ville a produits depuis
deux siècles. Elle a eu même quelquefois l’avantage de posséder des étrangers célèbres, que
sa situation agréable, & la liberté dont on y jouit, ont engagés à s’y retirer. […] « Ce n’est pas,
dit M. de Voltaire, un petit exemple du progrès de la raison humaine, qu’on ait imprimé à
Genève avec l’approbation publique (dans l’essai sur l’histoire universelle du même auteur),
que Calvin avoit une âme atroce, aussi-bien qu’un esprit éclairé. Le meurtre de Servet paroît
aujourd’hui abominable ». Nous croyons que les éloges dus à cette noble liberté de penser &
d’écrire, sont à partager également entre l’auteur, son siècle, & Genève. […] On peut dire
encore, sans prétendre approuver d’ailleurs la religion de Genève, qu’il y a peu de pays où les
théologiens & les ecclésiastiques soient plus ennemis de la superstition. Mais en récompense,
comme l’intolérance & la superstition ne servent qu’à multiplier les incrédules, on se plaint
moins à Genève qu’ailleurs des progrès de l’incrédulité […].