Introduction
La mystique juive est étudiée principalement au sein de deux domaines de recherche, que sont les études juives d'une part et les études sur l'ésotérisme, d'autre part. Si les écrits de Gershom Scholem[1] —fondateur de la première chaire d'étude du mysticisme juif à Jérusalem dans les années 1930— ont entériné l'expression de « mystique juive » pour parler de la kabbale, les études sur l'histoire de l'ésotérisme la considèrent comme « l'ésotérisme » ou la « tradition ésotérique » du judaïsme par excellence, en établissant une distinction —peu claire— entre ésotérisme et mystique. La terminologie d'Antoine Faivre relative à la kabbale apparaît d'autant plus floue dès lors qu'il est question du Zohar[2], « sommet de la théosophie[3] juive ». Du point de vue de la constitution du champ disciplinaire couvert par l' « étude de l'ésotérisme occidental », de création relativement récente, il faut peut-être voir ici une volonté d'intégrer sous une nouvelle étiquette qui ne soit pas religieusement différenciée ce qui jusque là était dénommé sans trop de formalité la « mystique juive ».
Une comparaison des sens qu'Antoine Faivre englobe dans sa définition de l'ésotérisme et de la mystique d'une part, et des sens que Scholem prête au terme de mysticisme d'autre part révèle une importante divergence de traitement du sujet. Animé par la volonté de donner une définition opératoire de l'ésotérisme, Antoire Faivre tente d'établir une distinction entre la mystique d'une part et l'ésotérisme —ou « gnose[4] »— d'autre part.
Selon Faivre, ce qui distingue la mystique de l'ésotérisme est la capacité de l'individu à communiquer son expérience en des termes compréhensibles pour autrui. Implicitement, il est fait référence au caractère ineffable de l'expérience mystique, souvent présenté comme une caractéristique importante de l'expérience mystique. Il convient de garder à l'esprit cette notion de l'ineffabilité de l'expérience mystique dans la mesure où nous la retrouverons, sous une forme originale, dans la conception scholemienne de la mystique juive.
La lecture des travaux d'Antoine Faivre révèle la difficulté de distinguer de façon claire un ensemble de notions relatives à l'ésotérisme, désigné à travers l'histoire par différents termes tels que « hermétisme[5] », « théosophie[3] », « alchimie[6] », etc. C'est la raison pour laquelle Faivre a formulé une critériologie censée permettre d'identifier la présence d'une « forme d'ésotérisme ». Quatre critères sont nécessairement présents :
l'existence de correspondances entre tous les éléments de l'univers ;
la perception de la nature comme un ensemble vivant et animé ;
la présence de l'imagination, faculté de l'âme qui permet de décrypter les mystères de la nature vivante, en utilisant à cette fin différentes médiations (symboles, esprits intermédiaires, etc.) ;
l'expérience de la transmutation —vocabulaire emprunté à l'alchimie : l'homme, par sa connaissance de la réalité secrète de l'univers, est profondément transformé. À ces quatre composants nécessaires s'en ajoutent deux secondaires, souvent présents dans la forme de pensée ésotérique, mais non indispensables :
une pratique de la concordance des traditions philosophiques et religieuses ;
la reconnaissance d'une transmission qui seule permet de valider la connaissance reçue et la transmutation qui en découle [7].