Sébastien CASTELLION, Conseil à la France désolée, 1562 (3 extraits)
Contrairement au Libelle contre Calvin, ce texte fut publié, mais sans nom d'auteur, en 1562. Au moment où les confrontations entre catholiques (majoritaires) et protestants (minoritaires) en France prennent une tournure de plus en plus violente et déboucheront d'ailleurs sur cette période de guerre civile qu'on appelle les « guerres de religion », Castellion fait le diagnostic du mal (la « maladie ») de la France et conclut que c'est le forcement (ou la contrainte) des consciences qui est à la racine de ce mal. Dans le deuxième extrait, après avoir fait allusion à ce qu'on appelle aujourd'hui la règle d'or (« ne pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'il nous fasse »), il dit avec ironie qu'être contraint par la force de trahir sa conscience est un tort si grand que l'on préfère parfois la mort. Enfin, rejoignant dans le troisième extrait ce qu'il avait déjà dit dans le Contre le libelle de Calvin, il réclame qu'on n'intervienne pas par les armes contre les hérétiques.
LA CAUSE DE LA MALADIE. Je trouve que la principale et efficiente cause de ta maladie, c'est-à-dire de la sédition et guerre qui te tourmente, est forcement de consciences, et je pense que si tu y penses bien, tu trouveras assurément qu'il est ainsi. (...)
FAUX REMÈDES : Or le remède que tes enfants, ô France, cherchent, c'est premièrement de se guerroyer, tuer, meurtrir les uns les autres et, qui pis est, d'aller quérir des nations étrangères argent et gens, afin de mieux résister ou, pour mieux dire, afin de mieux se venger de leurs frères. Secondement, de forcer les consciences les uns des autres.
Voilà les remèdes que tes enfants, ô pauvre France, cherchent à ta maladie, lesquels tant s'en faut que ce soient vrais remèdes, que c'est justement tout au contraire, car ce sont les parfaits moyens de te corrompre et de te détruire entièrement, tant corporellement que spirituellement. » (p. 19-21)
Or, considérez bien ce point. Si déjà en cette vie pleine d'ignorance et affections charnelles qui bien souvent aveuglent l'entendement des hommes, néanmoins cette vérité a tant d'efficacité qu'elle vous contraint, que vous le vouliez ou non, de confesser que vous avez fait à autrui autre chose que vous ne voudriez qu'il vous fût faite, que sera-ce au jour du Jugement, là où toutes choses seront clairement et vivement découvertes et mises au jour ? Et ne savez-vous pas que les consciences accuseront ou excuseront chacun au jour du juste Jugement ? Et savez-vous si le tort est petit que vous avez fait à vos frères ? Il est tellement petit qu'ils ont mieux aimé endurer tous les maux que votre cruauté (il faut qu'ainsi à la vérité je la nomme) a su inventer, que de faire (comme vous le requériez) chose contre leur conscience, ce qui est un signe que forcer la conscience d'un homme est pire que de lui ôter cruellement la vie, puisqu'un homme craignant Dieu aime mieux se laisser ôter cruellement la vie que de lui laisser forcer sa conscience.
Et venons à l'expérience, et je vous prendrai vous-mêmes à témoins. Il s'est trouvé et se trouve certains des évangéliques qui vous veulent contraindre à aller à leurs sermons, je vous demande comment vous plaît cette violence ? Elle vous déplaît sans nul doute, et vous dites qu'on vous fait grand tort, et toutefois à ouïr un sermon votre conscience ne peut être tant blessée que celle d'un évangélique à ouïr messe. Apprenez de vos propres consciences à ne forcer celles d'autrui, et si vous ne pouvez endurer un moindre tort, n'en faites pas à autrui un plus grand (...). (p. 25s.)
Voilà les justes moyens de résister aux hérétiques : par la parole, s'ils n'usent que de parole, et par le glaive, s'ils usent du glaive. Que si par erreur il advenait (comme bien souvent il advient) que quelqu'un qui ne serait pas hérétique vînt à être excommunié comme hérétique, cet inconvénient serait beaucoup moins dommageable que si par la même erreur on le faisait mourir. Car excommunication injuste ne fait que nuire au corps, voire quelquefois ne lui nuit point et bien être révoquée, mais mort est un mal irrémédiable. (p. 74s.)
Source : Sébastien CASTELLION, Conseil à la France désolée, 1562. Edition Marius F. Valkhoff, Genève, Droz, 1967 (texte modernisé).