Sébastien CASTELLION, Contre le libelle de Calvin, écrit en 1554, publié en 1612 (3 extraits)

L'événement qui déclenche cette polémique littéraire est l'exécution de Michel Servet à Genève, en octobre 1553. Servet avait été accusé de nier la Trinité et de refuser le baptême des enfants nouveau-nés. Pour justifier la condamnation de Servet, Jean Calvin avait publié un texte très dur. Castellion lui répond dans ces pages, qui ne seront publiées qu'un demi-siècle plus tard.

• Dans le premier extrait, il cite – de façon assez libre – un texte de Martin Luther de 1525 : puisque Dieu n'impose pas la vérité par la force, nous ne devons pas le faire non plus. Ce texte fait allusion à la parabole du bon grain et de l'ivraie (mauvaise herbe) (cf. Nouveau Testament, Matthieu 13,24-30).

• Le deuxième extrait est le plus célèbre de tout le livre. Castellion y affirme la légitime intervention de l'Etat contre les délinquants mais y dénonce toute action coercitive, la pire étant la peine de mort, contre quelqu'un qui ne fait qu'exprimer son opinion, en l'occurrence religieuse. Les écrits, dit-il, ne doivent être combattus que par d'autres écrits.

Dans le troisième extrait, Castellion semble prêt à donner à la vérité un caractère subjectif : l'homme qui dit sincèrement ce qu'il pense, même s'il se trompe, est dans la vérité. Au XVIe siècle, peu de penseurs auraient été prêts à admettre cette façon de voir les choses.

On peut voir ici à quel point nous avons mal agi, nous qui avons voulu conduire les Turcs à la foi par la guerre, les hérétiques par le feu, les juifs en les menaçant de mort, ou par d'autres injustices. Nous qui avons voulu arracher l'ivraie par nos propres forces, comme si nous avions le pouvoir d'agir sur les cœurs et les esprits, comme si nous avions en main la puissance de conduire tous les hommes à la justice et à la piété. Ce que le Dieu unique ne fait pas, cela n'est pas à faire. » (p. 91)

Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme. Quand les Genevois tuèrent Servet, ils ne défendirent pas une doctrine, ils tuèrent un homme. La défense de la doctrine n'est pas l'affaire du magistrat (qu'est-ce que le glaive peut avoir à faire avec la doctrine ?), c'est l'affaire des docteurs. L'affaire du magistrat, c'est de défendre le docteur comme il défend le paysan, l'artisan, le médecin, n'importe qui d'autre, contre les injustices. C'est pourquoi, si Servet avait voulu tuer Calvin, c'est à bon droit que le magistrat aurait pris la défense de Calvin. Mais Servet a combattu avec des arguments et des écrits : il fallait le combattre par des arguments et des écrits. (p. 161)

Voyons, Calvin, mets-tu Servet à mort parce qu'il pense ainsi, ou parce qu'il parle ainsi ? Si tu le mets à mort parce qu'il parle comme il pense, tu le tues à cause de la vérité : car la vérité, c'est de dire ce qu'on pense, quand même on se trompe. Le Psaume 15 déclare heureux celui qui dit en vérité ce qu'il a dans son âme. Et toi, tu mets à mort un tel homme ? (p. 165)

Source : Sébastien CASTELLION, Contre le libelle de Calvin, écrit en 1554, publié en 1612. Traduction du latin : Etienne Barilier, Carouge (Genève), Zoé, 1998

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