Ni l'intelligence, ni la force de caractère ne sont sexuées
Dans ce troisième extrait, tiré de la lettre 9, Grimké évoque plusieurs exemples (tirés de l'histoire états-unienne et anglaise essentiellement) pour défendre l'idée que les femmes sont tout autant capables de gouverner et de faire preuve de courage que les hommes. Elle en conclut que l'intelligence ou la force de caractère ne dépend pas du sexe et qu'en tant qu'être moraux les hommes et les femmes ont fondamentalement les mêmes droits et devoirs. Les différences de fonctions ne sont pas naturelles mais dépendent de l'arbitraire des sociétés et peuvent donc faire l'objet de la critique.
Durant notre lutte pour l'indépendance, les femmes firent preuve dans bien des cas d'une abnégation aussi exemplaire que les hommes. Elles refusèrent tout insigne et décoration pour elles-mêmes. Les raffinements étrangers étaient oubliés ; elles s'abstenaient joyeusement de toute denrée luxueuse.
L'histoire anglaise présente bien des exemples de femmes exerçant des droits qui leur sont maintenant refusés. A la suite d'une procédure juridique, il a été décidé qu'une femme non mariée ayant une pleine propriété foncière pouvait voter pour des membres du Parlement, et l'on sait que Lady Packington en a nommé deux. Lady Broughton était gardienne de la prison du corps de garde. A une époque bien plus récente, une femme a été nommée gouverneur de la maison de correction de Chelmsford, par ordre de la Cour. Sous le règne de Georges II, le ministre de Clerkenwell était choisi par une majorité de femmes. En 1822, l'office du grand chambellan était rempli par deux femmes et celui de clerc de la Couronne, à la Cour du Banc du Roi, a été confié à une personne de sexe féminin. La fameuse Anne, comtesse de Pembroke, assumait la fonction héréditaire de shérif dans le Westmorland, fonction qu'elle exerçait personnellement, siégeant au tribunal avec les juges.
Je n'ai guère besoin de rappeler les noms d'Elisabeth d'Angleterre, de Marie-Thérèse d'Autriche, de Catherine de Russie, d'Isabelle de Castille pour prouver que les femmes sont capables de tenir le sceptre de la royauté. L'histoire prouve de façon incontestable, non seulement que les femmes sont tout aussi qualifiées que les hommes pour régner, mais encore qu'il y a comparativement une plus grande proportion de bonnes reines que de bons rois, des femmes dont la force de caractère a valu la célébrité.
Je ne mentionne ces femmes que pour prouver que l'intelligence n'est pas sexuée, que la force de caractère n'est pas sexuée et que nos conceptions des devoirs des hommes et de ceux des femmes, de la sphère de l'homme et de celle de la femme ne relèvent que d'opinions arbitraires, variant en fonction des temps et des pays et ne dépendant en définitive que du vouloir et du jugement de faillibles mortels.
En tant qu'êtres moraux et responsables, les hommes et les femmes ont la même sphère d'action. Les mêmes devoirs leur sont dévolus. Nul ne peut douter que les devoirs de chacun varient selon les circonstances, qu'un père ou une mère, un mari ou une épouse sont soumis à des obligations sacrées qui ne sont pas le fait de ceux qui sont sans enfants ou sans conjoint. Ces devoirs et ces responsabilités ne leur sont pas affectés en tant qu'ils sont hommes ou femmes, mais en tant qu'ils sont parents, maris ou épouses.
Référence : Sarah GRIMKÉ, Lettres sur l'égalité des sexes (1838), introduction, traduction et notes par Michel Grandjean, Genève, Labor et Fides, 2016 (à paraître ; cette édition fournit un important appareil de notes).
Version originale anglaise : disponible à l'adresse
https://archive.org/stream/lettersonequalit00grimrich/lettersonequalit00grimrich_djvu.txt