Les mandalas du bouddhisme ésotérique au Japon : le mandala de la Matrice et le mandala du Plan du Diamant

Le « Mandala des deux parties »

Le mandala de la Matrice représente le potentiel inné de bouddhéité présent en chaque être, symbolisé par le caractère ri[1] , qui signifie « principe, raison, idéal ». Le mandala du Plan du Diamant représente l'évolution des êtres vivants vers l'Eveil grâce à la « connaissance », symbolisée par le caractère chi[2] . Ces deux aspects, ri et chi, la Raison innée et la Connaissance, sont indissolublement liés, et ne sauraient exister l'un indépendamment de l'autre, ce qui est exprimé dans la formule : « la Raison innée et la Connaissance ne sont pas deux » (richi funi). L'association entre les deux mandalas est ainsi perçue comme les deux côtés d'une même médaille. Aucune paire chinoise de mandalas ne subsiste, mais le Double mandala japonais le plus ancien date du IXe siècle, celui de Takao (830), du nom du temple à l'ouest de Kyôto où ils sont conservés. Les différences iconographiques entre les mandalas sont indubitables, mais presque toujours mineures : au-delà des variations stylistiques, les figures principales concordent, et seules les figures secondaires changent.

Le mandala de la Matrice représente l'univers de l'Eveil vu sous l'aspect de la compassion, qui est symbolisée par la matrice, ou l'utérus, comprise comme élément passif, « fonds commun » à tous les êtres. Les divinités y figurent les différentes formes que peut prendre la compassion, elles sont les moyens permettant d'atteindre l'Eveil. Le lotus est le symbole premier du mandala : la graine porte déjà en germe son épanouissement, elle correspond ainsi au potentiel inné de bouddhéité, et la compassion qui permet à la graine de mûrir est la « matrice » de laquelle cette dernière éclot. Tant l'image de la matrice que celle du lotus portent implicitement l'idée de gestation, croissance et naissance ou réalisation. Ce mandala est structuré de manière concentrique autour d'une section, le « Quartier central du Lotus à huit pétales », où le Bouddha universel (Dainichi[3]) , siège au milieu de huit divinités (quatre bouddhas et quatre bodhisattvas) symbolisant ses vertus. Il est composé de douze quartiers, répartis en trois ou quatre enceintes selon que l'on compte le quartier central comme une enceinte ou non. Les divinités sont assises sur des pétales de lotus rouges. Cette couleur symbolise ici la compassion, mais aussi le cœur humain, au sein duquel la bouddhéité est à réaliser. Les différents quartiers, enceintes et divinités sont liés entre eux par une symbolique complexe et relèvent d'une structure qui n'est pas complètement symétrique. La dynamique fondamentale du mandala est celle d'un échange mutuel : les divinités du centre émanent vers l'extérieur (plus on se rapproche de la périphérie, plus on se rapproche du monde humain), et inversement, tous les êtres participent d'un mouvement vers le centre, soit vers la perfection de l'Eveil.

Mandala de la MatriceInformationsInformations[4]
Schéma structurel et parcours à tavers le mandala de la Matrice

Le mandala du Plan du Diamant , représente la Connaissance. La caractéristique du diamant est son indestructibilité. Le terme indien vajra (kongô en japonais) désigne aussi le foudre, l'arme associée au roi des dieux indiens Indra , qui détruit l'ignorance. La notion de « plan » (également « royaume » ou « monde ») fait référence à l'être vivant, à la nature fondamentale en tant que corps distinct. Elle figure la discrimination entre objets de connaissance, contrairement à la matrice qui correspond à la nature originelle. La structure est composée de neuf assemblées, représentées sous forme de carrés de taille égale, qui étaient à l'origine des mandalas indépendants. Dainichi figure au centre de chacune des neuf assemblées, la centrale étant la plus importante. Cinq enceintes sont représentées, à nouveau allant toujours davantage vers le phénoménal à partir de l'assemblée centrale.

Mandala du Plan du diamantInformationsInformations[5]
Vajra, le foudre et le diamant, Vajra à trois pointesInformationsInformations[6]
Vajra, le foudre et le diamant,Vajra à une pointeInformationsInformations[7]
Schéma structurel et parcours à tavers le mandala du Plan du diamant

La fonction rituelle des mandalas ne se laisse pas définir de manière littérale ou directe. L'acception commune veut qu'ils soient des supports de visualisation ou de méditation. La réalité est à la fois plus simple et plus complexe. De même que toute autre image bouddhique, les mandalas sont des icônes au sens défini par l'historien du bouddhisme Robert Sharf d'une « sorte spécifique d'images religieuses dont on croit qu'elles prennent part ou participent de la substance de ce qu'elles représentent ». Sharf ajoute à cela qu'une « icône ne ressemble pas seulement au divin, elle participe de sa nature même ». Une icône bouddhique est donc davantage qu'une simple représentation. Elle n'est pas seulement habitée par le divin, elle est littéralement vivante, dès le moment où elle est consacrée, par une cérémonie qui se dénomme d'ailleurs « ouverture des yeux »[8] . Une telle aperception explique également que nombre d'images ou de statues sont perçues comme ayant des vertus apotropaïques, thérapeutiques ou salvifiques. Pour le bouddhisme, les images et statues ont ainsi un potentiel qui dépasse très largement celui d'une simple représentation symbolique, ou d'un simple support rituel.

D'un côté, les icônes bouddhiques sont donc « vivantes ». De l'autre, Kûkai explique que les images bouddhiques et les mandalas sont l'expression par excellence de l'univers bouddhique, soit de la réalité ultime, et qu'ils la représentent d'autant mieux qu'ils ne passent pas par le langage ordinaire. Les mandalas sont l'un des outils grâce auxquels les pratiquants peuvent court-circuiter le samsâra[9] ou cycle des renaissances et parvenir à l'Eveil. En effet, le bouddhisme ésotérique a pour spécificité par rapport à la plupart des autres courants du bouddhisme d'affirmer la possibilité d'atteindre à la réalisation bouddhique dans cette vie même, littéralement « dans ce corps même ». Puisque le potentiel de bouddhéité est inné, qu'il est latent en chaque être vivant (y compris dans les plantes), il suffit de parvenir à l'activer pour quitter le samsâra. Pour arriver à ce but, le bouddhisme ésotérique se sert d'un appareil rituel sophistiqué dont les mandalas, en particulier ceux de la Matrice et du Plan du Diamant, font partie intégrante.

Pour atteindre à la bouddhéité, il faut parvenir à ressentir l'identité foncière entre le soi individué et l'univers tout entier, soit la non-dualité exprimée par la « non-séparation entre Raison innée et Connaissance » (richi funi) que symbolisent les deux mandalas. L'immense complexité des rites du bouddhisme ésotérique a pour but d'amener cette prise de conscience et de la rendre permanente. De même, comme le souligne Robert Sharf, les mandalas, ainsi que les autres icônes bouddhiques, doivent être compris non pas comme une simple illustration symbolique ou un support à la visualisation, mais comme un lieu de manifestation du divin ou de l'universel. En présence d'un mandala, le pratiquant est appelé à ressentir l'union foncière de tous les éléments de l'univers entre eux, à commencer par sa propre identité avec l'essence divine représentée.

  1. ri 理

    Raison dite innée, elle correspond au potentiel de bouddhéité qui existe en chaque être, et signifie aussi l'égalité foncière de tous les êtres.

  2. chi 智

    Connaissance ou cognition qui s'obtient par la pratique et l'ascèse. Elle est le résultat de la prise de conscience, puis du développement, de la raison innée.

  3. Dainichi (大日, Skr. Mahâvairocana)

    Bouddha central du bouddhisme ésotérique, le Bouddha universel représente à la fois la réalité et la totalité de l'univers. Comme l'indique la traduction de son nom « Grand illuminateur », il est l'incarnation même de la lumière de l'Eveil bouddhique.

  4. "DOMAINE PUBLIC"

    The Womb World Mandala.

  5. "DOMAINE PUBLIC "

    The diamond world Mandala

  6. "DOMAINE PUBLIC "

  7. "DOMAINE PUBLIC"

  8. Cérémonie « d'ouverture des yeux » (Kaigen 開眼)

    Rite préparatoire effectué devant une statue nouvellement installée (ou restaurée), dans le but de convier l'âme de la divinité représentée à venir rejoindre ou habiter l'image. Le rite consiste généralement en offrandes et donations, ainsi que le dessin des pupilles de la divinité, d'où l'expression « d'ouverture des yeux ».

  9. Samsâra (jp. rinne 輪廻) :

    La signification première du terme est la « confluence », souvent aussi traduite par « naissance et mort » ou « cycle des renaissances ». Les deux caractères chinois, quant à eux, signifient l'un comme l'autre « tourner en cercle ». L'idée convoyée est bien celle de renaissance cyclique, à travers les Trois mondes (du Désir, de la Forme et de la Non-forme) et les Six destinées (dieux, demi-dieux, humains, animaux, démons affamés, habitants des enfers).

PrécédentPrécédentSuivantSuivant
AccueilAccueilImprimerImprimer Carina Roth Al Eid, Université de Genève (Suisse). Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de ModificationRéalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)