Le rapport du chrétien à l'image selon Jean Calvin

Toutefois, je ne suis pas tant scrupuleux de juger qu'on ne doive endurer ni souffrir nulles images ; mais d'autant que l'art de peindre et tailler [= sculpter] sont dons de Dieu, je requiers que l'usage en soit gardé pur et légitime, afin que ce que Dieu a donné aux hommes pour sa gloire et pour leur bien ne soit perverti et pollu [= souillé] par abus désordonné ; et non seulement cela, mais aussi tourné en notre ruine.

Je n'estime pas qu'il soit licite de représenter Dieu sous forme visible, parce qu'il a défendu de le faire, et aussi parce que sa gloire est d'autant défigurée et sa vérité falsifiée. Et afin que nul ne s'abuse, ceux qui ont lu les anciens docteurs trouveront que je suis de très bon accord avec eux en cela. Car ils ont réprouvé toutes figures de Dieu, comme déguisements profanes. S'il n'est point licite de figurer Dieu par effigie [= image] corporelle, tant moins sera-t-il permis d'adorer une image pour Dieu ou d'adorer Dieu en elle. Il reste donc qu'on ne peigne et qu'on ne taille que les choses qu'on voit à l'œil. Ainsi, que la majesté de Dieu, qui est trop haute pour la vue humaine, ne soit point corrompue par fantômes, qui n'ont nulle convenance avec elle. [...]

Mais [...] voyons en passant s'il est expédient d'avoir des images aux temples des chrétiens, soit qu'elles contiennent déclaration d'histoire, ou qu'elles montrent seulement effigie d'homme ou de femme. Pour le premier, si l'autorité de l'Eglise ancienne a quelque vigueur entre nous, notons que dans l'espace de cinq cents ans ou environ, du temps que la chrétienté était en sa vigueur et qu'il y avait plus grande pureté de doctrine, les temples des chrétiens ont communément été nets et exemptés de telle souillure. Ainsi, depuis que le ministère de l'Eglise s'est abâtardi, on s'est avisé de forger des images pour orner les temples. Je ne disputerai point quelles raisons ont eues les premiers auteurs de cette invention ; mais si on compare un âge avec l'autre, l'intégrité de ceux qui se sont passés d'images mérite bien d'être prisée [= appréciée] au prix de la corruption qui est survenue depuis. Or je vous prie, qui est-ce qui pensera que ces saints Pères eussent privé à leur escient [= délibérément] l'Eglise d'une chose qu'ils eussent connue lui être utile et salutaire ? Mais au contraire, parce qu'ils voyaient qu'il n'y avait nulle utilité, et danger apparent de beaucoup de grands maux, ils l'ont rejetée par bonne prudence et avis, plutôt que laissée par oubli ou nonchalance. [...] Et il est bien vraisemblable que pour cette cause saint Jean nous exhorte de nous garder non seulement de l'idolâtrie, mais aussi des idoles (1 Jean 5, 21). Et de fait, nous avons par l'horrible rage dont la religion a été renversée partout, expérimenté trop plus qu'il ne serait de besoin, que sitôt qu'il y a des images en un temple, c'est comme une bannière dressée pour attirer les hommes à idolâtrer. Car la folie de notre entendement ne se peut tenir qu'elle ne décline et découle comme eau à sottes dévotions et superstitions. Et encore que les dangers n'y fussent pas si apparents, quand je considère à quel usage les temples sont dédiés et ordonnés, il me semble pourtant que c'est chose malséante à leur sainteté qu'on y mette d'autres images que celles que Dieu a consacrées par sa Parole, lesquelles ont sa vraie marque imprimée : j'entends le baptême et la sainte cène du Seigneur [...].

Source : Jean CALVIN, Institution de la religion chrétienne, livre I, ch. 11, § 12-13, Genève, Labor et Fides, 1955, p. 71-72 (extraits).

Calvin travailla durant un quart de siècle à son Institution de la religion chrétienne (titre qu'on pourrait traduire aujourd'hui par Enseignement du christianisme), qui connut diverses éditions latines et françaises. L'extrait qui précède, dont la langue a été modernisée par les éditeurs, est tiré de l'édition française de 1560. Entre crochets ont été insérés des explications terminologiques.

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