Sciences et religions à l'époque contemporaine XIXe - XXe siècles

Modes de confrontation

Cette affaire Galilée permet de distinguer différents modes de confrontation entre science et religion (ou bien entre science et science), modes de confrontation qui peuvent être illustrés de la façon suivante à partir d'un schéma : soit S une proposition scientifique qui est fondée dans l'expérience ou dans la raison (« Toute réalité matérielle est l'effet d'une cause matérielle antérieure. » ) ; soit R une proposition religieuse qui est fondée dans un texte considéré comme « révélé » par les juifs et les chrétiens (« regarde le ciel et la terre [...] et reconnais que Dieu les a créés de rien », 2 Macc 7, 28) ; et soit I l'interférence des deux propositions (« L'univers, a-t-il un début ? »). Les problèmes ne se posent que là où il y a contradiction entre S et R.

  • 1 : I ne concerne pas le domaine propre de R, donc S (Galilée en 1615)

  • 1' : I ne concerne pas le domaine propre de S, donc R (Galilée en 1615)

Ces deux solutions sont proposées par Galilée en 1615 dans sa lettre à Christine de Lorraine : dans le domaine du « salut » comme, par exemple, le dogme de la résurrection des corps, les propos de la « révélation » doivent être favorisés (1') ; mais en ce qui ne concerne pas le « salut », il faut donner la prime à la raison (1).

  • 2 : R est trop éminent, donc S doit être traité comme hypothèse

C'est la solution de Bellarmin en 1616 et du pape Urbain VIII en 1624 qui, face à la « révélation », dévaluent l'héliocentrisme en en faisant un modèle intéressant, mais hypothétique.

  • 2' : S emporte la conviction, donc R doit être traité comme métaphore

C'est la solution traditionnelle qui a notamment été appliquée pour des énoncés bibliques qui s'opposent trop ouvertement à une compréhension littérale (« Dieu est un rocher », le « sein d'Abraham »). C'est aussi la solution que Galilée avance en 1632.

  • 3 : S emporte la conviction, donc R est faux

C'est ce que les inquisiteurs du Saint-Office attribuent et reprochent à Galilée en 1633 : s'il défend le système héliocentrique, il s'oppose forcément au récit biblique.

  • 3' : R est trop éminent, donc S est faux

C'est la solution choisie par la censure inquisitoriale de 1633 qui, devant le récit biblique, finit par interdire l'enseignement du système héliocentrique.

Parmi ces six solutions, on peut distinguer trois modes de confrontation :

  • 1 et 1' – la non-agression : on sépare les champs d'applications du scientifique et du religieux (ou bien de deux théories scientifiques divergentes telle la géométrie euclidienne[1] pour décrire le micro-espace, et la théorie de relativité[2] pour décrire le macro-espace).

  • 2 et 2' – la coexistence : on appelle ce mode « instrumentalisme » ou « conventionnalisme » parce que, selon le contexte, il peut être acceptable d'utiliser comme instrument l'un ou l'autre des modèles sans que cela soit décisif pour la validité de chacun (la théorie des ondes[3] et la théorie des corpuscules[4] sont utilisées l'une et l'autre pour expliquer certains phénomènes de la lumière).

  • 3 et 3' – l'exclusion : ce sont les solutions « réalistes » : il ne peut y avoir qu'une seule réalité et vérité ; ainsi, le choix pour l'un des deux modèles dans une question particulière est conçu comme un rejet complet de l'autre modèle (c'est le cas, par exemple, dans les débats autour du « gène égoïste[5] » : ce sont soit les gènes soit les individus qui essayent de s'imposer dans l' « évolution »).

  1. Géométrie euclidienne

    géométrie axiomatique qui remonte au mathématicien grec Euclide (IIIe siècle avant JC), et qui ne reconnaît pas l'espace courbe.

  2. Théorie de relativité

    théorie physique de la structure du temps et de l'espace qui a été développée principalement par Albert Einstein (1879-1955) et qui définit, entre autres, la courbure de l'espace.

  3. Théorie des ondes

    théorie physique qui considère la lumière comme étant une onde électromagnétique.

  4. Théorie des corpuscules

    théorie physique qui considère la lumière comme consistant en des particules.

  5. Gène égoïste

    élément de la théorie de l' « évolution » remontant à un livre du biologiste Richard Dawkins (*1941, The Selfish Gene, Oxford 1978) qui part du principe que la sélection naturelle concerne les gènes, et non pas les organismes ou même les populations.

PrécédentPrécédentSuivantSuivant
AccueilAccueilImprimerImprimer Ueli Zahnd, Université de Bâle (Suisse) Réalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)