La royauté et son fonctionnement
Introduction
La naissance du royaume résulte d'une volonté commune des princes de l'ancien royaume carolingien de Francie Orientale[1] de se doter d'un roi. Né en 888 avec l'élection d'Arnulf[2], issu de la prestigieuse famille descendante de Charlemagne[3], il est d'emblée conçu en continuité avec le pouvoir carolingien. Les élections successives de 899, 911 et 919 contribuent à déterminer la nature de la royauté germanique : une autorité née d'un consensus, celui des grandes familles dirigeantes qui choisissent d'unir les ensembles qu'elles contrôlent sous la domination d'un souverain unique, garantie de la légitimité d'un pouvoir qu'elles n'exercent que par délégation. Le souverain, issu de l'une des grandes familles dirigeantes du royaume, tire lui-même sa légitimité du choix de ses pairs, confirmé par le sacre et le couronnement et parfois par les armes. Cette royauté sacrée est aussi une royauté sacerdotale, et les relations étroites qui unissent dans ses fondements le pouvoir royal avec l'Eglise contiennent en germe les risques d'une dangereuse rivalité.
Royauté sacrée/royauté élective : Primus inter pares ou stirps regia ?
Le principe électif à l'origine de la royauté germanique entre en contradiction avec l'idée dynastique attachée à l'idée de royauté, hérité de la période carolingienne : c'est ainsi que les Ottoniens se succèdent très régulièrement de 919 à 1024, puis les Saliens de 1024 à 1125[4]. Il ne s'affirme vraiment qu'en cas de vacance du pouvoir, comme à la mort d'Henri II[5] (1024) ou celle d'Henri V[6] (1125), morts sans héritier. La très forte résistance de Grands[7] au principe dynastique s'incarne dans les révoltes qui accompagnent chaque succession : seul Henri III[8] en 1039 n'a pas connu de révolte à son accession au trône.
Les Grands jouent donc un rôle fondamental dans l'accession au pouvoir du roi : ce sont eux, représentant les peuples du royaume, qui font le roi, par l'élection. Le respect apparent du procédé électif et des rituels demeure primordial pour eux comme pour le souverain : l'élection est suivie d'une prestation de serment de fidélité, reconnaissance de la nature royale du pouvoir exercé par le nouveau souverain. C'est seulement à partir de ce serment que se déroulent les cérémonies de l'onction, ou sacre du roi, puis du couronnement royal, à Aix-la-Chapelle, dans la Chapelle palatine de Charlemagne ; elles viennent formaliser le choix des Grands et le matérialiser aux yeux de tous.
La délégation du pouvoir
Le royaume ne possède à l'origine ni institutions, ni unité. Les bases de la puissance du souverain résultent d'abord de ses biens propres et de sa fortune, auxquels s'ajoute les biens royaux (fisc) et les prérogatives royales (regalia). Mais l'essentiel du pouvoir des souverains s'inscrit dans leur capacité à imposer leur pouvoir et à l'exercer. Ainsi le service du roi (servicium regis[9] ) n'est-il exécuté que pour autant que le souverain est en mesure de l'exiger.
En l'absence d'une administration d'Etat, la gestion directe d'un aussi vaste ensemble est impossible pour le roi, contraint de déléguer localement une partie de ses pouvoirs aux grandes familles aristocratiques en place. Cette capacité à déléguer l'autorité ou à la reprendre constitue à la fois la marque du pouvoir suprême du souverain et la source de la légitimité du pouvoir des Grands, en même temps qu'un mode de gouvernement. Les Grands participent aussi directement à l'exercice du pouvoir, formant le conseil royal, ou Hoftag (diète). Le roi sollicite leur avis et leurs décisions. La diète constitue peut-être la seule véritable institution du royaume ; mais son importance provient d'abord de la pratique instituée plutôt que d'un fondement juridictionnel. Le pouvoir des princes est remarquable, et les rois ont tous tenté, avec plus ou moins de succès, de les contrôler et de limiter leur poids. La destitution des titulaires en place, le démembrement des vastes duchés hérités du Xe siècle ou la création de nouvelles entités permettent d'affaiblir un vassal rebelle et de récompenser des fidélités. Mais à la différence de pratiques observables dans d'autres royaumes latins, capétien en tête, les souverains ne se livrent pas à une centralisation des duchés vacants. S'il existe des terres royales, dispersées dans toute l'étendue du royaume (Königslandschaften), on n'assiste pas à la constitution d'un véritable domaine royal centralisé. Cette pratique est aussi une nécessité du pouvoir royal, contraint de se concilier les Grands pour se maintenir à la tête d'un ensemble fragile.
Finalement, il s'agit tout autant d'une monarchie que d'une oligarchie aristocratique. Cette dimension collective du pouvoir est consacrée par la prégnance du principe électif. Ce sont les Grands qui, rassemblés, font le roi, signifiant l'assentiment des différentes provinces du royaume au choix opéré par le souverain en titre lorsqu'il désigne lui-même son successeur. D'où, paradoxalement, leur attachement à la royauté : la principale source de légitimité du pouvoir des Grands réside dans la grandeur d'un souverain riche et puissant.