Excursus sur la position de théologiens luthériens face à Hitler
La position de Luther sur l'obéissance au pouvoir, et en particulier sa doctrine des deux règnes, sera invoquée dans l'Allemagne des années 1993 (accession d'Adolf Hitler au pouvoir) à 1945 (fin de la Seconde Guerre mondiale). Certains théologiens luthériens s'opposeront au nazisme : c'est le cas, par exemple de Martin Niemöller (1892-1984), qui fut emprisonné dans un camp de concentration de 1937 à 1945. C'est aussi le cas de Dietrich Bonhoeffer (né en 1906), qui était proche de certains conjurés contre Hitler et qui travaillait clandestinement à affaiblir le régime nazi : il en paya le prix de sa mort, puisqu'il fut exécuté en 1945, quelques semaines avant la capitulation allemande.
Mais un grand nombre de protestants, parmi lesquels des théologiens éminents, se sont réclamés de Luther pour soutenir le régime nazi. Comme Luther, ils tenaient à cette doctrine des deux règnes, qui leur permettait de séparer entre le règne spirituel (domaine de la foi personnelle, dans lequel aucun pouvoir humain ne peut intervenir) et le règne temporel (domaine du droit, du politique, du militaire). Sans être tous membres du parti nazi, la plupart d'entre eux se reconnaissaient comme Deutsche Christen (« chrétiens allemands »), un puissant mouvement protestant qui soutenait le régime. Ces théologiens estimaient qu'obéir au régime hitlérien (institué par Dieu, comme tous les régimes politiques) n'avait rien de répréhensible au regard de leur foi. Ceux d'entre les soldats de la Wehrmacht qui se réclamaient de Luther pouvaient dire, comme le Réformateur en 1526, que « la main qui porte (le) glaive et qui égorge n'est (...) plus la main de l'homme, mais celle de Dieu » (Les soldats peuvent-ils être en état de grâce ?, dans Œuvres, t. 4, Genève, Labor et Fides, 1958, p. 230).
Face à cette position, l'Eglise confessante allemande a tenté, notamment dans la Déclaration théologique de Barmen (1934), de dénoncer l'idée selon laquelle « il y aurait des domaines de notre vie qui ne seraient pas soumis à Jésus-Christ » et selon laquelle on pourrait donc obéir aveuglément au pouvoir hitlérien.
Sur ces questions, cf. Robert P. ERICKSEN, Theologians under Hitler. Gerhard Kittel, Paul Althaus and Emanuel Hirsch, New Haven et Londres, Yale University Press, 1985; Confessions de foi réformées contemporaines, éd. Henri MOTTU et al., Genève, Labor et Fides, 2000 (citation de la Déclaration de Barmen : p. 36).