Extrait de l’opinion dissidente du juge Martens dans l’arrêt Kokkinakis

Certes, il peut y avoir abus de la liberté de prosélytisme, mais la question décisive consiste à savoir si cela justifie de promulguer une disposition répressive punissant de manière générale ce que l’État considère comme du prosélytisme « de mauvais aloi ». Deux raisons au moins militent pour une réponse négative. D’abord, l’État étant tenu à une stricte neutralité en matière religieuse, il n’a pas la pierre de touche nécessaire et ne doit donc pas s’ériger en arbitre pour juger si tel ou tel comportement religieux est de « bon » ou de « mauvais aloi ». On ne peut remédier à l’absence de pareille pierre de touche (comme la Cour tente de le faire) en se servant d’un critère presque neutre: se demander si le prosélytisme en cause est « incompatible avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui ». En effet, cette absence même implique que rien n’autorise l’État à accorder plus de valeur à la liberté de ne pas être l’objet de prosélytisme qu’au droit d’en être l’auteur et, par voie de conséquence, à introduire une disposition pénale protégeant la première personne aux dépens de la dernière. En second lieu, compte tenu de la vague montante d’intolérance religieuse, il est impératif de circonscrire le plus rigoureusement possible les pouvoirs de l’État en la matière. Or la Cour aboutit au résultat inverse en cherchant à fixer de telles limites au moyen d’une notion aussi vague que celle de « prosélytisme de mauvais aloi » dont elle ne s’efforce pas même de donner une définition.