On peut voir ici à quel point nous avons mal agi, nous qui avons voulu conduire les Turcs à la foi par la guerre, les hérétiques par le feu, les juifs en les menaçant de mort, ou par d’autres injustices. Nous qui avons voulu arracher l’ivraie par nos propres forces, comme si nous avions le pouvoir d’agir sur les coeurs et les esprits, comme si nous avions en main la puissance de conduire tous les hommes à la justice et à la piété. Ce que le Dieu unique ne fait pas, cela n’est pas à faire. » (p. 91)
Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois tuèrent Servet, ils ne défendirent pas une doctrine, ils tuèrent un homme. La défense de la doctrine n’est pas l’affaire du magistrat (qu’est-ce que le glaive peut avoir à faire avec la doctrine ?), c’est l’affaire des docteurs. L’affaire du magistrat, c’est de défendre le docteur comme il défend le paysan, l’artisan, le médecin, n’importe qui d’autre, contre les injustices. C’est pourquoi, si Servet avait voulu tuer Calvin, c’est à bon droit que le magistrat aurait pris la défense de Calvin. Mais Servet a combattu avec des arguments et des écrits : il fallait le combattre par des arguments et des écrits. (p. 161)
Voyons, Calvin, mets-tu Servet à mort parce qu’il pense ainsi, ou parce qu’il parle ainsi ? Si tu le mets à mort parce qu’il parle comme il pense, tu le tues à cause de la vérité : car la vérité, c’est de dire ce qu’on pense, quand même on se trompe. Le Psaume 15 déclare heureux celui qui dit en vérité ce qu’il a dans son âme. Et toi, tu mets à mort un tel homme ? (p. 165)