FRÉDÉRIC GUILLAUME, par la grâce de Dieu, Margrave de Brandebourg, Archi-Chambellan
et Prince Electeur du St Empire, etc. Comme les persécutions et les rigoureuses procédures
qu’on exerce depuis quelque temps en France contre ceux de la Religion Réformée ont obligé
plusieurs familles de sortir de ce Royaume, et de chercher à s’établir dans les Pays étrangers,
nous avons bien voulu, touchés de la juste compassion que nous devons avoir pour ceux qui
souffrent malheureusement pour l’Evangile et pour la pureté de la foi que nous confessons
avec eux, par le présent Edit signé de notre main, offrir aux dits François une retraite sûre et
libre dans toutes les terres et provinces de notre domination, et leur déclarer en même tems de
quels droits, franchises et avantages nous prétendons les y faire jouir, pour les soulager et
pour subvenir en quelque sorte aux calamités avec lesquelles la Providence divine a trouvé
bon de frapper une partie si considérable de son Eglise.
1. Afin que tous ceux qui prendront la résolution de venir s’habituer dans nos Etats puissent
trouver d’autant plus de facilité pour s’y transporter, nous avons donné ordre à notre Envoyé
extraordinaire auprès de Messieurs les Etats Généraux des Provinces Unies, le Sr. Diest et à
notre Commissaire dans la ville d’Amsterdam, le Sr. Romswinckel, de fournir à nos dépens, à
tous ceux de la dite Religion qui s’adresseront à eux, les bâtimens et vivres dont ils auront
besoin pour faire le transport de leurs personnes, biens et familles, depuis la Hollande jusques
dans la ville de Hambourg, dans laquelle ensuite notre Conseiller d’Etat et Résident au cercle
de la basse Saxe, le Sr. de Gerike, leur fera fournir toutes les commodités dont ils auront
besoin pour se venir rendre dans telle Ville et Province de nos Etats, qu’ils trouveront bon de
choisir pour le lieu de leur demeure.
2. Ceux qui seront sortis de France du côté de Sedan, Champagne, Lorraine, Bourgogne ou
Provinces méridionales de ce Royaume, et qui ne trouveront pas à propos dépasser par la
Hollande, n’auront qu’à se rendre à Francfort sur le Mein et s’y adresser au Sr. Mérian notre
Conseiller et Résident dans la dite ville, ou au Sr. Léti notre Agent, auxquels nous avons
commandé aussi de les assister d’argent, de passeports et de bateaux pour les faire descendre
de la rivière du Rhin jusques dans notre Duché de Clèves, où noire régence prendra soin de
les faire établir dans les pays de Clèves et de la Marck, ou en cas qu’ils voulussent passer plus
avant dans nos Etats, la dite Régence leur donnera les adresses et les commodités requises
pour cela.
3. Comme nos dites Provinces se trouvent pourvues de toute sorte de commodités, nonseulement
pour les nécessités de la vie, mais encore pour les manufactures, pour le commerce
et pour le négoce par mer et par terre ; ceux qui se voudront établir dans nos dites Provinces,
pourront choisir tel lieu pour leur établissement qu’ils jugeront le plus propre pour leur
profession, soit dans les pays de Clèves, de Marck, de Ravensberg et de Minde, ou dans ceux
de Magdebourg, de Halberstadt, de Brandebourg, de Poméranie et de Prusse ; et comme nous
croyons que dans la Marche Electorale les villes de Stendal, Werbe, Rathenow, Brandebourg
et Francfort, et dans le Pays de Magdebourg, les villes de Magdebourg, Halle et Calbe,
comme aussi dans la Prusse la ville de Koenigsberg, leur seront les plus commodes, soit pour
la facilité de s’y nourrir, vivre et subsister à vil prix, soit pour celle d’y établir le négoce; nous
avons ordonné qu’aussitôt que quelques uns des dits François y arriveront, ils y soient bien
reçus et que l’on convienne avec eux de tout ce qui sera nécessaire pour leur établissement,
leur donnant au reste une liberté entière, et mettant à leur propre gré de se déterminer pour
telle Ville et Province de nos Etats qu’ils jugeront leur convenir le plus.
4. Les biens, les meubles, marchandises et denrées qu’ils apporteront avec eux en venant, ne
seront assujettis à payer aucuns droits, ni péages, mais seront exemts de toutes les charges et
impositions de quelque nom et nature qu’elles soient.
5. Au cas que dans les villes, bourgs et villages, où les dits de la Religion iront s’établir, il se
trouve des maisons ruinées, vides ou abandonnées de leurs possesseurs, et lesquelles les
propriétaires ne seront pas capables de remettre en bon état, nous les leur ferons assigner et
donner en pleine propriété pour eux et leurs héritiers, nous tâcherons de contenter les dits
propriétaires selon la valeur des dites maisons et les ferons dégager de toutes les charges dont
elles pourroient encore être redevables, soit pour hypothèques, dettes, contributions ou autres
droits qui y étaient auparavant affectés. Voulons aussi leur faire fournir du bois, de la chaux,
des pierres, des briques et d’autres matériaux dont ils auront besoin pour raccommoder ce
qu’ils trouveront de ruiné et de défait dans les dites maisons, lesquelles seront libres et
exemtes six ans durant de toute sorte d’impositions, gardes, logement de soldats et autres
charges, et ne payeront pendant le dit tems de franchise que les seuls droits de consommation.
6. Dans les villes ou autres endroits où il se trouve des places propres pour y bâtir des
maisons, ceux de la Religion qui se retirent dans nos Etats seront autorisés d’en prendre
possession pour eux et leurs héritiers, comme aussi de tous les jardins, prairies et pâturages
qui y appartiendront, sans être obligés de payer les droits et autres charges dont les dites
places et leurs dépendances pourroient être affectées; et pour faciliter d’autant plus la
construction des maisons qu’ils voudraient bâtir, nous leur ferons fournir tous les matériaux
dont ils auront besoin et leur accorderons dix ans de franchise, pendant lesquels ils ne seront
sujets à aucunes autres charges, hormis aux susdits droits de consommation. Et comme notre
intention est de rendre l’établissement qu’ils voudroient faire dans nos Provinces le plus aisé
qu’il sera possible, nous avons commandé aux Magistrats et à nos autres Officiers des dites
Provinces , de chercher dans chaque ville des maisons à louer, dans lesquelles ils puissent être
logés lorsqu’ils arriveront, et promettons de faire payer pour eux et pour leurs familles quatre
ans durant le louage des dites maisons, pourvû qu’ils s’engagent de bâtir avec le tems sur les
places qu’on leur assignera aux conditions susmentionnées.
7. D’abord qu’ils auront fixés leur demeure dans quelque ville ou bourg de nos Etats, ils
seront reçus au droit de bourgeoisie et aux corps de métiers, dans lesquels ils seront propres
d’entrer, et jouiront des mêmes droits et privilèges que ceux qui sont nés et domiciliés de tout
tems aux dites villes et bourgs, sans qu’ils soient obligés de payer quoique ce soit pour cela et
sans être sujets au droit d’aubaine ou autres, de quelque nature qu’ils soient pratiqués dans
d’autres Pays et Etats contre les étrangers, mais seront considérés et traités en tout et partout
de la même manière que nos sujets naturels.
8. Tous ceux qui voudront entreprendre quelque manufacture et fabrique, soit de draps,
étoffes, chapeaux ou de telle autre sorte de marchandises qu’il leur plaira, ne seront pas
seulement pourvûs de tous les privilèges, octrois et franchises qu’ils peuvent souhaiter, mais
nous ferons encore en sorte qu’ils soient aidés d’argent et de telles autres provisions et
fournitures qu’il sera jugé nécessaire pour faire réussir leur dessein.
9. Aux Paysans et autres qui se voudront mettre à la campagne, nous ferons assigner une
certaine étendue de pays pour la rendre cultivée, et les ferons secourir de toutes les nécessités
requises pour les faire subsister dans le commencement, de la même manière que nous avons
fait à un nombre considérable de familles Suisses qui sont venues habiter dans nos Etats.
10. A l’égard de la Jurisdiction et manière de juger les différens qui pourront subvenir aux
dits François de la Religion Reformée, nous permettons que dans les villes où il y aura
plusieurs de leurs familles établies, ils puissent choisir quelqu’un d’entre eux, qui ait droit de
terminer les dits différens à l’amiable, sans aucune formalité de procès ; et si ces différens
arrivent entre des Allemands et des François, ils seront jugés conjointement par les Magistrats
du lieu, et par celui qui aura été choisi pour cela parmi ceux de la Nation Françoise; ce qui
aura lieu aussi lorsque les différens qui arrivent entre des François seulement ne pourront pas
être vidés par la voie d’un accord amiable dont il est parlé ci-dessus.
11. Nous entretiendrons un Ministre dans chaque ville, et ferons assigner un lieu propre
pour y faire l’exercice de la Religion en françois, selon les coutumes et avec les mêmes
cérémonies qui se seront pratiquées jusqu’à présent parmi eux en France.
12. Comme ceux de la Noblesse Françoise qui ont voulu se mettre sous notre protection, et
entrer en notre service, y jouissent actuellement des mêmes honneurs, dignités et avantages
que ceux du pays et qu’il s’en trouve plusieurs parmi eux élevés aux premières charges de
notre Cour et au commandement de nos troupes, nous voulons bien continuer les mêmes
grâces à ceux de la dite Noblesse qui se viendront établir à l’avenir dans nos Etats, leur
donnant les charges, honneurs et dignités dont ils seront trouvés capables, et lorsqu’ils
achèteront des fiefs ou autres biens, et terres nobles, ils les posséderont avec tous les droits,
libertés et prérogatives dont la Noblesse du pays est en droit de jouir.
13. Tous les privilèges et autres droits dont il est parlé ci-dessus, auront lieu non seulement
à l’égard de ceux de la Nation Françoise qui arriveront dans nos Etats après la date du présent
édit, mais encore à l’égard de ceux qui s’y sont venus établir auparavant, pourvû qu’ils soient
exilés de France à cause de la Religion Réformée, ceux qui font profession de la Romaine n’y
pouvant prétendre en aucune manière.
14. Nous établirons des Commissaires dans chacune de nos Provinces, Duchés et
Principautés, auxquels les François de la Religion Réformée pourront avoir recours dans les
besoins qui leur arriveront, non seulement au commencement de leur établissement, mais
encore dans la suite ; et tous nos Gouverneurs et les Régences de nos Provinces et Etats auront
ordre en vertu des présentes, et des commandemens particuliers que nous leur enverrons, de
prendre les dits de la Religion sous leur protection, de les maintenir dans tous les privilèges
marqués ci-dessus, et de ne pas souffrir qu’il leur soit fait aucun tort ou injustice, mais plutôt
toute sorte de faveur, aide et assistance. Donné à Potsdam le 29 Octobre 1685.
Signé : FREDERIC GUILLAUME.