Religions et Argent

Introduction

Entre économie et finance islamique

L'économie islamique prend ses racines dans la shar'ia[1]. Par conséquent, les pratiques économiques et financières de la cité islamique doivent se conformer à l'ensemble de ses principes directeurs qui organisent non seulement les aspects spirituels, mais aussi tous les aspects de la vie quotidienne des populations musulmanes. Ainsi, l'économie islamique constitue un paradigme selon lequel les questions économiques ne sont plus considérées isolément mais dans le contexte global de tout un système social et culturel.

Dans l'économie islamique les valeurs morales telles que l'équité, la liberté, la justice, l'honnêteté, etc. président. Cependant, toutes ces notions sont des termes abstraits qui possèdent des connotations différentes selon les sociétés, les périodes et les lieux, ce qui veut dire que l'expression « principes de l'islam » pour une économie islamique peut être vague. Le rôle de l'économie islamique, selon la shar'ia, est d'empêcher l'injustice dans l'acquisition des ressources matérielles et de fournir la satisfaction à l'homme devant Dieu et la société. Dans ce cadre religieux l'homme musulman est celui qui a peur de Dieu, il est pieux, vertueux, modeste, vrai, juste, sincère et altruiste, puisque par sa soumission à Dieu, il veut échanger les biens matériels de ce monde provisoire contre le paradis en respectant les valeurs les plus importantes.

L'économie islamique est donc fondée sur des normes de comportement et des valeurs correspondant à une forme de rationalité. Cependant, dans de nombreux pays majoritairement musulmans, les structures sociales et économiques, dépendantes de la shar'ia coexistent avec les formes et les méthodes économiques du capitalisme. Ceci nous pousse à nous interroger sur les formes de cette économie, islamique en théorie puisque dépendante d’États dont l'islam est la religion officielle mais qui concrètement reste davantage marquée par des objectifs de bénéfice et de croissance plutôt que par des idéaux de justice et d'équilibre. L'économie islamique et la finance islamique sont donc deux notions appelées à spécifier la relation entretenue par l'islam à l'argent. Cette volonté de définir une normativité alternative n'est pas spécifique au monde musulman ; il s'agit avant tout de définir un modèle alternatif au modèle dit traditionnel ou capitaliste, respectant l'éthique islamique.

Le Coran première source de la shar'ia compte près de 550 versets touchant directement aux pratiques commerciales et une dizaine environ concernant la finance. Le modèle financier islamique repose sur cinq piliers principaux, trois interdictions et deux obligations. Les interdictions concernent le prêt à intérêt ou à doublements (ribâ[2]), la spéculation (gharar[3]) ainsi que l'investissement illicite (haram[4]). Les obligations touchent le partage des profits et des pertes et l'adossement des investissements à des actifs tangibles de l'économie réelle. À ces cinq piliers du modèle financier, on peut ajouter un pilier de l'islam qui est l'aumône (zakât[5]). Elle consiste à donner aux plus démunis 2.5% de sa fortune annuelle. C'est une obligation par laquelle le musulman purifie sa richesse et qui constitue un instrument de redistribution et de justice sociale. Ces différents principes montrent que la shar'ia considère l'argent avant tout comme moyen d'échange et non comme un moyen de réaliser des profits voire des intérêts. En islam l'argent ne doit pas produire de l'argent ; l'usure est interdite par Dieu. Ces principes reflètent également le souci constant dans le droit musulman de partager les risques entre le prêteur et l'emprunteur. Cependant, comment expliquer que malgré ces différents principes censés œuvrer à la justice sociale sur Terre, la justice économique soit si peu présente dans les sociétés majoritairement musulmanes ?

Comment l'islam parvient-il à respecter l'interdiction coranique du ribâ dans une finance et une économie mondialisée ? Nous verrons que la finance islamique cherche à se différencier la finance conventionnelle en prônant une certaine éthique qui vise notamment à freiner la spéculation financière. En 2008, lors de la crise des subprimes, plusieurs études affirment alors que le respect des règles de la finance islamique empêcherait l'apparition des crises financières. Ces études présentent la finance islamique comme une institution éthique privilégiant un système de valeurs fondé sur la shar'ia permettant de s'assurer que les hommes ont une vie conforme à la volonté divine. Pour autant tous les pays majoritairement musulmans ne s'accordent pas sur une définition de la finance islamique. Ainsi, il est utopique de croire en l'existence d'un système unique d'économie islamique tant les divergences sont grandes entre les États du Golfe et ceux d'Afrique du nord. Le Maroc, par exemple n'a introduit ce concept que vers la fin des années 2010 et lui préfère une désignation différente celle de finance participative.

En effet, si l'islam définit à travers le Coran et la Sunna les règles de base du commerce, ni l'un ni l'autre ne contiennent des règles précises assignant à la monnaie fonction et signification. Ceci laisse donc à l'homme une large marge d'interprétation pour créer un modèle financier solide avec des structures appropriées aux besoins de la société et aux conditions économiques toujours en mutation.

  1. Shar'ia

    litt. la voie, le verbe arabe (Sha-rra-a) signifie tracer une voie ou faire une loi. Dans le langage islamique le terme signifie la voie qui a été institué par Dieu et qui mène à Dieu « le chemin pour respecter la loi de Dieu.

  2. Ribâ

    Étymologiquement, le mot Ribã est dérivé de la racine rabâ dont le sens premier est augmenter, accroître, gonfler, grandir. A l'origine, Ribã signifie l'accroissement, surcroît. Initialement, rien qui ne permette de traduire Ribã par usure et encore moins par intérêt, voire pire : intérêt usuraire. Nous opterons donc pour la signification neutre : « prêt » assortie d'une notion de surcroît, qui correspond parfaitement avec la notion du Coran qui désigne ce qu'on peut appeler Ribã al–jâhiliya ou prêt à doublement, c'est-à-dire le prêt tel que pratiqué par les Arabes de la période antéislamique. Il s'agissait précisément de prêter à terme une somme ou une quantité de marchandises et, dans le cas où l'emprunteur ne pouvait rembourser le prêt à l'échéance convenue, alors le prêteur reportait le remboursement à une autre échéance, mais en doublant la somme due.

  3. Gharar

    mot arabe associé à l'incertitude, à la tromperie et au risque. Il a été décrit comme «la vente de ce qui n'est pas encore présent», comme les récoltes non encore récoltées ou les poissons non encore compensés. Gharar est un concept important de la finance islamique et est utilisé pour mesurer la légitimité d'un investissement risqué lié à la vente à découvert, aux jeux de hasard, à la vente de biens ou d'actifs de qualité incertaine, ou à tout contrat qui n'est pas rédigé en termes clairs.

  4. Haram

    Désigne ce qui est interdit par l'islam, ce mot arabe est le contraire de Halal : ce qui est autorisé par la religion islamique. On peut donc traduire haram par illicite. Est haram par exemple la vente de l'alcool aux musulmans.

  5. Zakât

    Le terme « zakât » souvent traduit en français par « aumône légale », signifie littéralement « purification ». La zakât est le troisième pilier de l'islam et son essence même révèle l'importance de la participation sociale dans l'univers musulman. La Zakât est clairement un impôt sur l'avoir et la propriété qu'il faut comprendre, d'abord, comme une obligation devant Dieu.

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