Religions et Argent

Paradoxes du système banquier islamique

Les banques traditionnelles, qui fonctionnent avec une philosophie morale dite capitaliste ne sont pas toujours adaptées aux principes fondamentaux et à la moralité économique de l'Islam qui interdit le profit ou intérêt (ribâ[1]) prohibé par la shar'ia[2]. Avec l'essor de l'islam politique depuis les années 1960, plusieurs pays ont donc choisi d'intégrer dans leurs système économique des banques islamiques se référant aux règles shariatiques, soit par conviction religieuse soit par conviction économique, afin d'attirer plus de fonds appartenant à des bailleurs venus de pays majoritairement musulmans. Les racines et les principes de la finance islamique sont aussi vieux que la religion elle-même. En effet, la jurisprudence des transactions (Fiqh Al Moamalat) constitue depuis des siècles un cadre structurant, déterminant tous les transactions financières des musulmans. Cette discipline a produit une terminologie spécifique qu'on va analyser ici.

Alors que le système bancaire classique est fondé sur la collecte des fonds et des opérations de prêts à intérêt, le système bancaire islamique est un système fondé sur le principe de partage de profits et de pertes. Les banques islamiques encouragent ainsi l'investissement et les partenariats avec les clients porteurs de projets. Elles peuvent cependant financer l'achat d'une maison ou d'une voiture aux musulmans pieux, mais dans un cadre présenté comme différent du ribâ et nommé morabaha[3] (bénéfice) pour ne pas dire intérêt, interdit par la shar'ia. Le morabaha est considéré comme le paiement d'un service supplémentaire fourni par la banque islamique pour renforcer son activité. Les banques dites islamiques ont donc un double fonctionnement à la fois classique et islamique.

Dans l'idéologie islamique, l'investissement commercial a une double fonction. Il doit servir simultanément les intérêts de l'investisseur et ceux de la communauté locale. Cette simultanéité vient du fait que l'islam accorde un rôle social à la monnaie. L'islam ordonne que la monnaie, bien qu'elle soit la propriété de celui qui y a droit, soit confiée à l'homme pour investir conformément aux principes et aux règles instituées par Dieu. Les banques islamiques collectent les fonds des épargnants comme les banques classiques, mais à la différence de celles-ci, le financement fait l'objet d'un contrat entre l'emprunteur et la banque islamique en vertu duquel cette dernière ne joue pas seulement le rôle de financier mais aussi celui d'un partenaire intéressé par la bonne issue du projet de financement. Ainsi, elles offrent une grande gamme de services à leurs clients avec lesquels elles entretiennent des relations banque-client à long terme.

Les banques islamiques affirment fonctionner dans un esprit « non usurier » c'est-à-dire refusant le prêt avec intérêt, mais comment ces banques sont-elles capables de coexister avec les autres banques pratiquant le prêt à intérêt que ce soit dans des pays non musulmans ou dans pays majoritairement musulmans mais conservant des banques traditionnelles comme c'est le cas du Maroc ? Les banques islamiques font face à un véritable défi consistant à respecter les normes islamiques tout en maintenant une présence au sein de la finance mondialisée. Comment en effet agréger des financements issus de différents systèmes bancaires tout en respectant les interdits de la finance islamique ?

La finance islamique se distingue de la finance conventionnelle par le fait qu'elle ne se cantonne dans le rôle du prêteur : elle agit en véritable partenaire financier du porteur du projet avec un système de partage de risques, de la responsabilité et des revenus. La banque islamique est partenaire à part entière avec le client dans son projet dès lors que celui-ci est passé par des règles d'analyse et de gestion de risque. Les revenus sont partagés en fonction de l'importance de l'investissement et prévoient un bonus conséquent au porteur du projet. Il s'agit en fait, d'un partenariat intelligent capital/travail. Ce système de partenariat ou l'achat d'un bien à un client donne la possibilité à la banque islamique d'avoir des bénéfices qui peuvent dépasser de loin les gains des banques conventionnelles en adaptant des terminologies qui se réfèrent au Coran quand il dit « Dieu a permis la vente »

Le fait que les lois islamiques interdisent de verser ou de toucher un intérêt n'implique pas qu'elles défendent de gagner de l'argent ou encouragent le retour à une économie fondée uniquement sur les espèces ou le troc. Elles incitent toutes les parties d'une transaction à partager le risque et le bénéfice ou la perte. On peut comparer les déposants de la banque islamique à des investisseurs ou actionnaires, qui reçoivent des dividendes quand la banque fait un bénéfice ou perdent une partie de leurs économie quand elle subit une perte. Le principe consiste à lier le rendement du contrat islamique à la productivité et à la qualité du projet, pour assurer une répartition plus équitable de la richesse.

  1. Ribâ

    Étymologiquement, le mot Ribã est dérivé de la racine rabâ dont le sens premier est augmenter, accroître, gonfler, grandir. A l'origine, Ribã signifie l'accroissement, surcroît. Initialement, rien qui ne permette de traduire Ribã par usure et encore moins par intérêt, voire pire : intérêt usuraire. Nous opterons donc pour la signification neutre : « prêt » assortie d'une notion de surcroît, qui correspond parfaitement avec la notion du Coran qui désigne ce qu'on peut appeler Ribã al–jâhiliya ou prêt à doublement, c'est-à-dire le prêt tel que pratiqué par les Arabes de la période antéislamique. Il s'agissait précisément de prêter à terme une somme ou une quantité de marchandises et, dans le cas où l'emprunteur ne pouvait rembourser le prêt à l'échéance convenue, alors le prêteur reportait le remboursement à une autre échéance, mais en doublant la somme due.

  2. Shar'ia

    litt. la voie, le verbe arabe (Sha-rra-a) signifie tracer une voie ou faire une loi. Dans le langage islamique le terme signifie la voie qui a été institué par Dieu et qui mène à Dieu « le chemin pour respecter la loi de Dieu.

  3. morabaha

    Contrat incluant l'acquisition et la vente d'un bien au prix de revient majoré d'une marge bénéficiaire connue et convenue entre la banque et le client.

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