Mme Guyon, Le moyen court pour faire oraison (1686)

Chapitre II. Manière de faire oraison.

Il y a deux moyens pour introduire les âmes dans l'oraison, dont on peut et doit se servir pour quelque temps. L'un est la méditation, l'autre est la lecture méditée.

  1. La lecture méditée n'est autre que de prendre quelques vérités fortes soit pour la spéculative, soit pour la pratique, préférant la dernière à la première, et [de] lire de cette sorte. (...)

  2. L'autre [moyen] est la méditation qui se fait dans l'heure choisie pour cela et non dans le temps de la lecture. Je crois qu'il serait bon de s'y prendre de cette manière. Après s'être mis en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel et s'arrêter doucement dessus, non avec raisonnement, mais seulement pour fixer l'esprit, observant que l'exercice principal doit être la présence de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l'esprit que pour l'exercer au raisonnement. (...)

  3. Lors donc que l'on est ainsi enfoncé en soi-même et vivement pénétré de Dieu dans ce fonds, lorsque les sens sont tous ramassés et retirés de la circonférence au centre (ce qui donne un peu de peine au commencement, mais qui est aisé dans la suite, ainsi que je dirai), lors, dis-je, que l'âme est de cette sorte ramassée en elle-même, qu'elle s'occupe doucement et suavement de la vérité lue, non en raisonnant beaucoup dessus mais en la savourant, excitant la volonté par l'affection plutôt que d'appliquer l'entendement par la considération, l'affection étant ainsi émue, il faut la laisser reposer doucement et en paix, avalant ce qu'elle a goûté. Comme une personne qui ne ferait que mâcher une excellente viande ne s'en nourrirait pas, quoique elle en eût le goût, si elle ne cessait un peu ce mouvement pour l'avaler, il en est de même lorsque l'affection est émue : si on veut la mouvoir encore, on éteint son feu, et c'est ôter à l'âme sa nourriture. Il faut qu'elle avale, par un petit repos amoureux plein de respect et de confiance, ce qu'elle a mâché et goûté. Cette méthode est très nécessaire et avancerait plus l'âme en peu de temps que toute autre en plusieurs années. (...)

Chapitre III. Pour ceux qui ne savent pas lire.

  1. Ceux qui ne savent pas lire, ne seront pas privés pour cela de l'oraison. Jésus-Christ est le grand livre, écrit par dehors et par dedans, qui leur enseignera toutes choses.

Ils doivent pratiquer cette méthode. Premièrement, il faut qu'ils apprennent une vérité fondamentale, qui est que le Royaume de Dieu est au-dedans d'eux, et que c'est là qu'il le faut chercher.

Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas assez à jouir de leur fin. Qu'ils le leur apprennent de cette manière.

Il faut commencer par un acte profond d'adoration et d'anéantissement devant Dieu et là, tâchant de fermer les yeux du corps, ouvrir ceux de l'âme, puis la ramasser au-dedans, et s'occupant directement de la présence de Dieu par une foi vive que Dieu est en nous, sans laisser répandre les puissances et les sens au-dehors, les tenir le plus qu'il se peut captifs et assujettis. (...)

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