La femme soufie dans le Maroc médiéval

L'accès des femmes au monde du soufisme

Grâce au contenu des biographies des femmes soufies répertoriées, il est clair que l'accès des femmes au monde du soufisme n'a pas été facile. Divers obstacles, non seulement religieux et sociaux, mais aussi biologiques, apparaissent.

Le corps féminin est fortement présent dans ces textes. Il y est présenté, avec ses besoins et ses exigences constants, comme une entrave aux exercices spirituels. Dans le processus de sanctification, l'hagiographie accorde une place prépondérante au thème de la purification. Cette tension du pur et l'impur traverse l'hagiographie, depuis les premières expériences de sainteté. Or, plusieurs femmes soufies sont décrites comme des « femmes âgées », comme si une femme devait atteindre la ménopause pour prétendre atteindre le degré de sainteté.

Si le sang menstruel, considéré comme une souillure échappe à la volonté de la femme, ce n'est pas le cas du corps comme source de séduction. L'accès à la voie de la divinité du Dieu, et l'accomplissement de la sainteté des femmes ne peuvent se faire qu'après la négation et le reniement du corps. Le corps féminin est présenté dans toutes les descriptions comme source de plaisir et de luxure. Face à ces poncifs, la femme soufie devait faire un double effort pour débarrasser son corps de toute séduction.

Lutter contre ses désirs reste, pour la sainte, un combat de tous les instants. Les hagiographes citent des modèles de femmes qui ont été belles et attirantes mais dont le corps se transforme avec l'expérience mystique. Les femmes soufies sont souvent décrites comme mettant leur corps à l'épreuve d'expériences spirituelles rigoureuses combinant privation de nourriture, de sommeil et de toutes formes de plaisir pour répondre aux conditions d'une expérience mystique féminine.

L'hagiographe Al-Tâdilî[1] insiste sur cette mise à mal du corps : « J'ai visité et vu une vieille femme noircie avec diligence, qui n'avait plus que la peau, desséchée, sur les os ». Il en est de même pour une femme anonyme de Marrakech : « Nous avons vu une vieille femme qui avait la peau collée sur les os ». Les portraits de saintes aux visages décharnés, aux corps squelettiques, aveugles à force de pleurer, dont le teint vire tantôt au jaune (safâr) tantôt au noir (sawâd), sont représentatifs des mortifications volontairement affligées pour transformer ce corps de désir, source de séduction, en un corps qui soulève, par sa faiblesse, la compassion mais aussi parfois le dégoût. Dans certains cas les corps des femmes mystiques sont non seulement décrits comme faibles, mais aussi comme masculins rejoignant ainsi le « modèle » de corps non attrayant; L'hagiographe Al-Kettani[2] rapporte de Manana al-Bassyounia[3], qu'elle « avait une barbe comme un homme ».

Si certains textes mettent en valeur des saintes « ordinaires » combinant expérience mystique et vie familiale sous tous ses aspects, les hagiographes valorisent surtout les jeunes femmes ayant rejeté le mariage, considéré comme un obstacle sur leur chemin spirituel. Les expériences mystiques féminines précoces de femmes encore vierges, sont ainsi considérées comme encore plus pures puisque ces femmes n'ont pas encore été souillées par un homme.

Le soufisme permet ainsi aux femmes de choisir une vie de célibat et de refuser de se marier dans une société où les femmes célibataires n'ont généralement pas ce choix. Les femmes ainsi isolées du culte, des hommes et du mariage ne sont plus accusées de bafouer leur honneur, bien au contraire. Leur choix du célibat et leur attitude envers le mariage est devenue une partie intégrante des composantes de leur religiosité et une valeur positive auprès de toute la société.

  1. Al-Tâdilî

    Al-Tâdilî est un Juriste et hagiographe marocain du XIIIe siècle.

  2. Al-Kettani

    Mohamed ibn Jaafar al-Kettani est un des grands théologiens marocains né en 1858 et décédé en 1927. Il est connu particulièrement pour ses travaux sur les saints de la ville de Fès.

  3. Manana al-Bassyounia

    Manana al-Bassyounia est une des saintes de la ville de Fès, morte en 1751.

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