« “Qu'est-ce que la Rose ?” : mystique et ésotérisme dans la tradition juive »

L'ouverture du Zohar, un bon exemple de l'hétérogénéité discursive dans la kabbale

Le titre de notre contribution est tiré de l'ouverture du Zohar, texte central de la mystique juive. Le Zohar débute par un commentaire du Cantique des Cantiques (2, 2 : « Comme le lis entre les chardons, telle est ma bien-aimée entre les jeunes femmes »). La bible de Jérusalem traduit shoshanah par lis, mais il est plus exact de dire « rose ». La complexité de définir la « mystique juive » est parfaitement illustrée par cet extrait du Zohar, très représentatif de la multiplicité d'éléments de natures très différentes qui apparaissent dans la littérature kabbalistique.

  • Tout d'abord, le texte se présente comme le commentaire d'un verset biblique (Cant. 2, 2). Il s'agit d'une démarche herméneutique qui fait appel à une étude et à une connaissance intensive des textes de la tradition, dans une sorte de rumination inlassablement reprise des textes sacrés.

  • Ensuite, le passage s'ouvre sur la phrase « Un tel a ouvert la discussion, en disant : il est écrit etc. » : il arrive que le discours rapporté par le texte présente une mise en abyme plus complexe, en multipliant les intermédiaires. La littérature kabbalistique présente de façon récurrente ce type de formulation qui a pour objet de mettre en évidence le caractère transmis de la connaissance secrète qui passe d'un maître à son disciple.

  • Le commentaire s'appuie sur un tissage serré des différents niveaux de sens possibles présents dans le verset du Cantique des cantiques, en posant une équivalence entre la communauté d'Israël, la rose et la matérialité du texte. Un jeu de correspondances s'établit entre le niveau sociologique (la communauté d'Israël), le niveau symbolique (les couleurs), le niveau de l'orthopraxie religieuse (la manière dont il convient de réaliser la bénédiction après le repas), le niveau linguistique (le nombre de mots séparant les différentes occurrences du terme « Elohim », c'est-à-dire la « matière » du texte et son aspect formel sont des objets de spéculation en soi).

  • Une partie du commentaire s'intéresse à la manière dont il convient de réaliser la bénédiction qui clôt le repas. La kabbale est souvent définie comme étant un commentaire mystique de la raison des commandements dans le judaïsme. En effet, si la halakha[1] s'intéresse à la manière de mettre en pratique une loi, la kabbale s'interroge sur leur raison d'être. Nous avons ici un bon exemple du fait que le commentaire mystique de la kabbale est ancré dans une tradition religieuse spécifique, en l'occurrence le judaïsme.

  • L'armature du commentaire réside principalement dans son aspect linguistique. Loin des conceptions selon lesquelles le langage humain est impropre à rendre compte de l'expérience mystique, le Zohar considère que Dieu intervient sur le texte biblique pour « faire jaillir » un sens qu'il appartient ensuite aux herméneutes de saisir. Il faut remarquer au passage que la manière dont les mots sont comptabilisés dans le texte font fi du découpage classique du texte biblique en versets. Le texte est considéré ici dans sa matérialité continue, en dehors de son cadre syntaxique.

  • Enfin, le texte s'intéresse à la création du monde telle qu'elle est décrite dans la Genèse, bien que le cadre officiel du commentaire soit un verset du Cantique. Comme Scholem l'a souligné à diverses reprises, les mystères de la création constituent l'objet central du questionnement kabbalistique.

  1. halakha

    Le terme provient de la racine halakh qui signifie « aller ». La halakha constitue l'ensemble des règles pratiques qui régissent la vie religieuse juive et le mode de comportement du fidèle.

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