Marana et Cyra

Théodoret de Cyr, Histoire des moines de Syrie, t.2, XXIX.

Après avoir écrit la vie de ces hommes héroïques, je crois qu'il est utile de faire aussi mention des femmes qui ont combattu sans la moindre infériorité, si ce n'est même avec plus de force. Elles méritent, en effet, de plus grands éloges encore ces femmes qui, avec une nature plus faible, ont fait preuve du même courage que les hommes et ont affranchi leur sexe d'un déshonneur héréditaire. (...) Je mentionnerai donc maintenant Marana et Cyra qui ont surpassé toutes les autres par leurs exploits d'endurance. Bérée est leur patrie, leur famille en était l'emblème et leur éducation conforme à leur origine. (...)

Mais dédaignant tous ces avantages, elles se firent un petit enclos à l'entrée de la ville, s'installèrent à l'intérieur et condamnèrent leur porte avec un enduit de boue et de pierres. (...) Elles-mêmes n'ont ni maison ni cabane, mais elles mènent la vie en plein air. (...)

Rapports avec les visiteurs

Au lieu de porte, on leur a ménagé une étroite ouverture par laquelle elles reçoivent la nourriture nécessaire et s'entretiennent avec les femmes qui viennent les voir. Mais ces visites sont limitées au temps de la Pentecôte, car, le reste du temps, elles demeurent dans une vie de silence. Marana est d'ailleurs seule à s'entretenir avec les visiteuses, car personne n'a jamais entendu la voix de l'autre. (...)

Leurs pénitences : intervention de Théodoret

Elles sont bardées de fer et elles en portent un tel poids que Cyra, qui est la plus faible, a le corps tout courbé vers le sol et ne peut pas du tout le redresser. Elles portent des vêtements [p. 237] fort longs qui vont jusqu'à traîner par derrière et leur recouvrir complètement les pieds ; par devant, ils tombent jusqu'à la ceinture, et leur cachent complètement à la fois le visage, le cou, la poitrine et les mains. (...)

Je les ai souvent vues à l'intérieur de leur clôture. Car elles m'ont fait ouvrir leur porte, en considération de mon caractère épiscopal. Je vis donc qu'elles portaient une masse de fer que même un homme en pleine vigueur n'aurait pas pu soulever. A force de supplications, je pus, sur le moment, la leur faire déposer; mais après notre départ, elles entourèrent encore leurs membres : le collier de fer autour du cou, la ceinture autour des reins, les accessoires autour des bras et des pieds. (...)

Leur contemplation

Et ce genre de vie, elles le mènent non pas depuis cinq, dix ou quinze ans seulement, mais depuis quarante-deux ans. Et après avoir si longtemps combattu, elles ont autant d'ardeur pour les durs travaux que si elles venaient juste d'engager le combat. Contemplant, en effet, la beauté de l’Époux, elles supportent avec grande aisance et plus de facilité les fatigues de la course et se pressent d'arriver au terme de leurs combats, où elles voient le Bien-Aimé debout qui leur présente la couronne de la victoire. Grâce à cela, elles supportent les atteintes de la pluie, de la neige, du soleil, sans s'attrister ni se plaindre, mais en recueillant consolation de ces apparentes afflictions. (...)

Pèlerinages à Jérusalem et au tombeau de Sainte Thècle

Pour imiter le jeûne de Moïse l'inspiré, par trois fois elles ont demeuré aussi longtemps que lui sans manger, car ce n'est qu'au bout de quarante jours qu'elles prirent un peu de nourriture. Et par trois fois aussi, elles imitèrent l'abstinence du divin Daniel pendant une durée de trois semaines et, alors, elles donnèrent à leurs corps de la nourriture. Prises un jour du désir de contempler les lieux sanctifiés par les souffrances salvatrices du Christ, elles coururent vers Aelia sans rien manger durant la route, mais, une fois arrivées dans la Ville et leurs dévotions accomplies, elles prirent de la nourriture puis refirent à jeûne tout le voyage de retour, ce qui ne fait pas moins de vingt journées de marche. Suivant aussi leur désir de voir en Isaurie le tombeau de la victorieuse Thècle, afin d'allumer à tous les foyers le feu de l'amour divin, elles firent à jeûne l'aller et le retour, tellement le charme divin les a transportées hors d'elles-mêmes, tant l'amour divin pour l’Époux les a rendues folles !

Devenues par un tel genre de vie l'ornement du sexe féminin et comme un modèle pour les autres femmes. Le Maître leur ceindra le front des couronnes de victoire.

Quant à moi qui ai fait valoir le profit qu'on en peut tirer, après avoir recueilli leur bénédiction, je passerai à un autre récit.

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