Un nouveau genre de martyre

Le martyre intérieur peut prendre diverses formes : chez l'une, pourtant très vertueuse, une « horrible appréhension des jugements de Dieu et par conséquent de la mort » constitua « une espèce de martyre pendant toute sa vie » ; une autre éprouva toutes les croix et la « tyrannie » de l'amour, Dieu « permit au démon de l'exercer par toutes sortes de tentations ; elle en sortit toujours victorieuse », et « son divin Amant pour la faire souffrir davantage, se cacha et la priva de sa douce présence qui était tous ses délices. Elle regarda cette absence comme un véritable martyre » [...].

Les mystiques ont vécu un véritable martyre, un martyre au sens métaphorique, mais impliquant des peines, des tortures bien réelles. Les religieuses en cet état témoignent aussi : le martyre de l'amour, autant que le martyre de la foi qu'expérimentaient les premiers chrétiens, est témoignage sur Dieu, sur son incomparable grandeur et l'incompréhensibilité de ses voies. Les biographes interprètent ainsi les états de désespoir, de nuit, d'absence où sont si souvent plongées les religieuses. [...]

[...] En tout cas, ces mutations du martyre nous montrent que ce que représentait le martyre, mythe ou réalité, n'avait pas disparu avec l'apaisement des persécutions sanglantes ; et cela parce qu'il ne pouvait pas disparaître : en effet, toute expérience qui se reconnaît, ou se veut, expérience ultime et sans limites ne peut que susciter un témoignage ultime. Or pour l'homme placé dans cette situation et devant cette exigence, seule la destruction de soi, sa perte sans réserve, sous une forme ou sous une autre, apparaît comme critère de la validité du message dont il témoigne et de la légitimité de son engagement pour ce message.

Source : Extraits de Jacques Le Brun, « Mutations de la notion de martyre au XVIIe siècle d'après les biographies spirituelles féminines », in Jacques Marx (dir.), Sainteté et martyre dans les religions du Livre, Problèmes d'Histoire du Christianisme, 19, Editions de l'Université de Bruxelles, 1989, p. 77-90.

ImprimerImprimer