L'issue de la « bataille du chameau » selon Hichem Djaït

Bataille pour le dîn, c'est-à-dire à la fois la religion et la voie, le chemin, soit de ‘Alî soit de ‘Â'isha, où se conjoignaient la ḥamâsa de l'islam et la ḥamiyya des Arabes, les deux passions primordiales, celle de la religion et celle du sang, mais cette dernière retournée contre elle-même. Deux masses guerrières, aguerries, professionnelles du grand combat massif, nimbées de la gloire d'avoir écrasé les armées sassanides et subjugué toute la Perse, organisées par l'islam. C'est la première fois dans l'histoire que des Arabes s'affrontent à cette échelle, car aussi bien nous sommes loin des guerres intertribales de l'Anté-Islam ou même des combats prophétiques. Guerre d'armées impériales enfin, fondatrices d'empire et destructrices d'empire. On retrouvera les mêmes traits plus tard, à Ṣiffîn, à une échelle encore plus large et plus redoutable.

La gravité du drame consommé, c'est-à-dire l'intensité émotionnelle des moments graves, on la ressent à travers de nombreuses scènes. ‘Â'isha ramenée par son frères Muḥammad b. AbîBakr au cœur de Baṣra [...]. Cette maison pleine de Qurayshites blessés se cachant dans les pièces de l'intérieur. Bref, tout un tableau de larmes, d'abattement et de douleur et qui vient peut-être rappeler ce que l'islam du Prophète avait apporté lui-même comme déchirure dans sa propre tribu de Quraysh. ‘Alî s'y était montré alors d'une dureté sans faille, et sans doute les traces qui restaient de ce passé l'ont-elles fait haïr de Quraysh. Aujourd'hui ce passé remonte à la gorge, de nouveau ‘Alî se trouve en position d'accusé, tueur de sa propre tribu. Cela éclate dans les imprécations de cette femme, dans deux vers de virile lamentation qu'on prête à ‘Alî, dans la quasi-unanimité de Quraysh à se dresser contre lui, ici au Chameau, demain à Ṣiffîn. ‘Alî se montre d'une longanimité sublime et vrasemblement dans ce long moment de l'épreuve psychique d'après la bataille. Silence patient devant la Qurayshite accablée, un simple blâme à ‘Â'isha d'avoir fait s'entre-tuer les musulmans alors que Dieu lui avait ordonné « de rester dans sa demeure », sa défense stricte de lui porter injure, l'ordre donné de la ramener chez elle à Médine.

Source : Hichem Djaït, La Grande Discorde. Religion et politique dans l'Islam des origines, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 1989, p. 217-218.

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