Extrait du martyrologe de Crespin

Jean Crespin évoque le cas d'un groupe de réformés français installé à Genève et envoyé par le consistoire prêcher l'Évangile en Savoie. Arrêtés par un prévôt des maréchaux, ils sont traduits devant le parlement de Chambéry pour hérésie. Jean Crespin relate la procédure en reproduisant avec un soin documentaire particulier les correspondances entretenues avec leurs amis genevois

Depuis que le Seigneur par sa bonté a mis son Évangile en la ville de Genève, y ayant déjà entretenu les siens l'espace de plus de vingt ans, il en a fait sortir, comme de son parc, plusieurs vaillans champions, pour manifester aux hommes sa vérité. Et en ce temps, il en a produit cinq excellens en tesmoignage de sa vérité & doctrine, devant le parlement de Chambery : desquels les trois à savoir Jean Vernou, natif de Poitiers, Antoine Laborie, natif de Caiarc en Quercy, licentiéésloix, ayant esté juge royal dudit Caiare, & Jean Trigalet, natif de Nismes en Languedoc, licentiéésloix, ayant estéesleus par le consentement de l'Eglise de Genève, pour aller annoncer l'Evangile de nostre Seigneur Jesus, accepterent volontiers & en tout humilité ceste charge : comme s'estansdeja de long temps consacrez au service de Dieu, et combien qu'ils ne fussent point si stupides, qu'ils ne vissent bien les dangers eminens& les feus comme dejà allumez, neantmoins le vrayzele qu'ils avoyent de servir à la gloire de Dieu, selon leur vocation tant saincte, leur fit mespriser toutes les cruautez barbares des adversaires de la verité a soit mesme qu'un bon personnage leur eust dit quasi à l'entrée de leur voyage, qu'il y avoit grand danger qu'ils fussent arrestez en chemin neantmoins toute apprehension de crainte postposée, rien ne les peut empescher de poursuyvre ce à quoy ils estoyent appelez.

[Le texte de Crespin reproduit plus loin l'extrait d'une lettre d'Antoine Laborie à ses amis :]

Après fusmes interrogez de la Cene, de la Messe, du Purgatoire, de la Confession & autres leurs Sacremens. Et un chacun article fut tellement debattu entre eux & nous, qu'ils en demeurerent comme des susdits : ce seroit trop long de vous escrire ce qui fut traité là dessus. Il suffira qu'un chacun de nous y respondit selon la mesure de sa foy, & de sorte que les ennemis furent rembarrez de tous coups, & confus en soit à ce bon Dieu.

Pour la fin, il fut requis par nous que nous parlassions un peu du Pape, leur faisans cest offre, que s'ils nous pouvoient prouver par la saincteEscriture, que le Pape fut chef de l'église de Jesus Christ, que nous recevrions toutes ses ordonnances, mais jamais ne voulurent entendre à ce poinct, ny en debattre aucunement. Et alors nous dismes, qui puis qu'ils ne vouloyent prouver que le Pape fust chef de l'Eglise, que nous offrions prouver &soustenir par le texte de l'Escrituresaincte, que ledit Pape est l'Antechrist, & qu'ils nous baillassent une Bible, comme nous les avions requis plusieurs fois, & n'en voulurent jamais rien faire.

[une autre lettre évoque l'issue du procès :]

Vous avez peu entendre de nostreestat, & quelle esperance nous avions de l'issue de nostre cause assavoir qu'ayansreceu sentence de mort, fussions menez au sacrifice le lendemain, qui estoit jour de marché, & de fait, les fagots & chaines estoyentapprestées, & ne falloit que planter les posteaux, & disposer les fagots pour nous mettre dessus. [...] Le lendemain ayant appelé quelques autres en jugement, ils opinerent derechef & fut conclu que Jesus Christ ne seroit point bruslé comme heretique en nous qui sommes ses membres pour eviter le scandale du peuple, mais comme un larron ou brigand il seroit envoyé aux galeres.

Source: Jean Crespin, Actes des martyrs déduits en sept livres, Genève, Jean Crespin, 1555, p. 624 et suivantes.

ImprimerImprimer